Bac, séparatisme… et guerre scolaire

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Par André Garcin Modifié le 18 mars 2021 à 10h26
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Le Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer l’avait pourtant juré : il ne laisserait pas à la postérité de lois portant son nom. Les enseignants étaient suffisamment excédés par l’entassement contreproductif des réformes ! Surtout, ne pas en rajouter.

Mais quelques années plus tard, force est de constater qu’il a changé d’avis : sa ferveur législative n’épargne ni l’enseignement libre, ni, plus généralement, la liberté d’éducation des familles. En 2018, il soutient ostensiblement la loi Gatel qui restreint fortement la liberté des écoles privées hors contrat, comme celle de l’instruction en famille. En 2019, la loi pour l’école de la confiance serre de nouveau la vis à l’école à la maison et rend l’instruction obligatoire dès 3 ans pour tous. Et voilà que, par le projet de loi confortant les principes républicains débattu en ce moment, il veut à présent interdire l’instruction en famille dans son principe-même et dissuader l’essor des écoles privées hors contrat...

Si les motivations de cet acharnement restent parfois mystérieuses, la radicalité politique en la matière est bel et bien revendiquée par le Président lui-même, dans son discours des Mureaux du 2 octobre 2020 par exemple. Il annonce même une radicalité équivalente à celle des lois Jules Ferry, ce qui met évidemment la barre très haut et évoque inévitablement la « guerre scolaire ».

Rallumer la guerre scolaire ? Macron et Blanquer s’en défendent, bien sûr. Il s’agit tantôt de s’adapter à la situation sanitaire (pour justifier ses décisions sur le bac) tantôt de lutter contre le séparatisme islamiste dans le cadre de la loi renforçant les principes républicains. Et puis, on s’étonnerait de voir un ancien élève de Stanislas s’en prendre aussi violemment aux libertés éducatives... N’a-t-il pas fait le cadeau de l’instruction obligatoire à 3 ans à l’Eglise catholique ? Une manne pour les établissements privés sous contrat qui perçoivent ainsi le forfait communal dès la maternelle !

Relancer la guerre scolaire : Blanquer et Macron à la manœuvre

Mais ça, c’était avant. Ou plutôt... en même temps. Et cette logique, ou plutôt cette absence de logique se retrouve un peu partout, par exemple dans la loi sur le séparatisme. Si son but était vraiment de lutter contre le séparatisme, pourquoi aucune disposition n’est-elle prévue pour prévenir ce danger... à l’école publique ? Jean-Pierre Obin n’aurait-il pas démontré - rapport et livre écrits à 18 ans d’intervalle à l’appui - que notre école publique était profondément menacée et bousculée par l’irruption de l’islamisme à l’Education nationale ? Que reste-t-il de sa vocation émancipatrice ? Samuel Paty n’était-il pas un enseignant de l’Education nationale, assassiné devant un collège public ? Quels islamistes passés à l’acte provenaient-ils d’un établissement privé hors contrat ou de l’instruction en famille ?... L’essentiel du volet éducatif de la loi de prévention contre le séparatisme aurait en fait dû porter sur l’Education nationale. Mais il n’en est rien, preuve que les écoles privées hors contrat et les familles faisant l’école à la maison ne sont que des boucs émissaires. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi n’a d’ailleurs même pas réussi à établir la dangerosité de l’infime minorité qui opère dans un cadre contrôlé et régulé par l’Etat et contrôlable autant que de besoin par ce dernier pour l’instruction en famille. La probabilité est forte que plus de 60 sénateurs saisissent le Conseil constitutionnel de dispositions législatives présentées par tant de voix autorisées comme gravement attentatoires à la liberté constitutionnelle d’enseignement. L’avis du Conseil d’Etat était à cet égard assez clair...

Le bac, pomme de discorde

Autre arme de destruction massive dans la guerre scolaire, le bac édition 2021. Alors que les élèves des lycées publics et sous contrat bénéficieront du contrôle continu, ceux des établissements privés hors contrat, comme ceux qui pratiquent l’instruction en famille moyennant un cours par correspondance reconnu en seront tout simplement privés. Sans surprise, la décision passe mal. Les lycéens, passablement stressés par une année très désorganisée par l’application des protocoles sanitaires destinés à prévenir l’extension de la Covid 19, n’acceptent pas de devoir passer une dizaine d’épreuves d’affilée dans des centres d’examen en mai-juin, tandis que leurs camarades valideront leur bac au prix de bien moins d’efforts. Le sentiment d’injustice est vif. La peur aussi, d’attraper le virus ou de contaminer ses proches. Mais surtout, ce qui domine le plus est le sentiment d’être quantité négligeable au sein de la République. Jean-Michel Blanquer n’avait-il pas dit dans sa lettre du 21 janvier avoir entendu « les inquiétudes exprimées face aux difficultés de préparation aux épreuves des enseignements de spécialité ? » N’a-t-il pas concédé avoir entendu aussi, chez les professeurs, « l’expression d’une fatigue éprouvée dans ce qui est vécu comme une course contre la montre, difficile à tenir en cas d’enseignement hybride, pour préparer au mieux les classes aux exercices de ces épreuves » ? Les décisions à prendre devraient être fondées « sur une double exigence : assurer l’égalité de traitement des candidats dans le cadre de l’examen et garantir le niveau de leurs apprentissages dans la perspective de l’enseignement supérieur » ... Mais en fait, il n’en est rien. Une note de service du 23 février dernier, accompagnée des décrets et arrêté du 25 du même mois indique au contraire et contre toute logique que les lycéens de L’enseignement privé hors-contrat seront exclus de tout ce qui a été aménagé pour rendre la situation supportable aux autres candidats au bac. Ils ont même dû attendre la note de service du 11 mars dernier pour découvrir que le programme avait changé pour le tronc commun, et qu’il ne portait plus que sur le programme de terminale, et non plus sur celui de première...

Génération sacrifiée et recours devant le Conseil d’Etat

Difficile de s’organiser face à tant de désorganisation publique ! Difficile d’apprendre à croire en soi et à se projeter sereinement dans les études supérieures quand le ministre de l’Education vous traite manifestement avec tant de mépris ! Le résultat de ce sentiment d’injustice est la participation sans précédent de parents d’élèves, de bacheliers et d’établissements scolaires à un recours de masse réunissant de nombreux requérants devant le Conseil d’Etat qui déposent un recours pour excès de pouvoir doublé d’un référé suspension. L’urgence est grande puisque le bac est dans moins de deux mois. Ce recours est organisé par l’association « Créer son école », qui défend et promeut de défend les écoles indépendantes et la liberté d’enseignement. Pour Anne Coffinier, présidente de cette association, qui l’écrit dans le Monde (), il y a une rupture d’égalité manifeste. Si le motif est sanitaire, il concerne tous les élèves de France sans distinction, et il n’y a donc pas lieu d’en traiter différemment une partie. Et si l’on se place sur le terrain académique, on ne voit pas en quoi des écoles qui ont été admises l’an dernier à donner des notes de contrôle continu à leurs élèves n’en seraient soudain plus jugées capables cette année, d’autant qu’on est placé toujours dans le même contexte exceptionnel de la crise sanitaire... Le Conseil d’Etat rendra dans une dizaine de jours sa décision en référé.

La « Fondation pour l’école » n’attaquera pas en justice

La Fondation pour l’école, quant à elle, après avoir expliqué le caractère hautement préjudiciable de ces dispositions relatives au bac, a curieusement expliqué sur son compte twitter qu’« une action judiciaire ne lui paraît ni envisageable ni souhaitable à ce stade ». Une telle retenue ne laisse d’interroger, tant il est évident qu’on ne peut plus espérer obtenir quoi que ce soit du Ministère sans passer par une action judiciaire et médiatique efficace... A moins que les ennuis judiciaires de cette organisation ne la poussent à faire profil bas et à donner des gages au pouvoir pour s’acheter son indulgence...

Il n’en reste pas moins que le front de l’opposition a été fracturé à leur initiative, et que Jean-Michel Blanquer cherchera certainement à exploiter cette division !

Affaires à suivre.

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Ancien fonctionnaire territorial, puis cadre de la fonction publique en administration centrale. J'ai été plusieurs fois chargé de mission, détaché de mon ministère de tutelle (Ministère de l'Economie et des Finances) auprès d'autres ministères, en tant que spécialiste dans l'accompagnement et le développement des PME. 

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