Bois-construction : la complaisance aveugle des pouvoirs publics ?

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Par Rédaction Modifié le 31 octobre 2017 à 17h34
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100 millions d'eurosLe montant que pourrait atteindre désormais le soutien à la filière bois

Le 9 mars 2017, l’ex-ministre du logement Emmanuelle Cosse signait la charte pour une « alliance nationale bois construction rénovation », avec les l’Association des régions de France, les acteurs de la filière bois et l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie). Le but de cette opération : encourager l’utilisation du bois dans la construction et la rénovation des bâtiments. Alors que la filière bois a toutes les raisons de se réjouir de cette victoire politique, un silence pesant a été observé sur les conséquences de l’utilisation à grande échelle du bois en construction.

Un plan d’action « bois » en gestation depuis plusieurs années

En 2015, les premiers contrats de la filière bois avec l’Etat furent signés dans des régions comme la Nouvelle-Aquitaine. Celle-ci possède en effet la plus grande surface de massifs forestiers (2,8 millions d’hectares) et est en tête du classement en matière de récolte de bois commercialisé, devant les régions Grand-Est et Auvergne-Rhône-Alpes. L’Alliance nationale bois couvre d’une part ces contrats mais également le troisième plan national bois construction (2017-2020). Celui-ci vise à inciter les maîtres d’ouvrage à s’engager dans la construction en bois, notamment pour les constructions publiques.

Le 10 février 2017, Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture avait quant à lui publié au Journal Officiel un décret approuvant le programme national de la forêt et du bois 2016-2026. Il définit les orientations que doit prendre la politique forestière française publique et privée, en métropole et en outre-mer pour les dix prochaines années. Le but : intensifier la récolte et l’usage du bois. Auparavant le ministre avait annoncé un renforcement des crédits destiné à un fonds pour soutenir la filière bois. Ces moyens devaient permettre d’atteindre environ 100 millions d’euros, en association avec les autres co-financeurs (Europe, régions, fonds privées, BPI, BEI…).

La signature de cette « alliance nationale bois construction rénovation » en réjouit donc plus d’un, au premier rang desquels les propriétaires de forêts, et les acteurs de la filière bois. Une telle alliance devrait en effet encourager de futurs projets « bois » en régions, comme au cœur de la capitale. C’est notamment le cas à la Défense où un ensemble en bois devrait être livré en 2020 : situé sur un terrain de 17 hectares, il devrait héberger le siège social d’un grand groupe. Sauf que cette posture pro-bois se fonde sur des arguments déformant quelque peu la réalité. Si le lobbying de la filière a fonctionné pour faire entrer le bois dans certains secteurs, notamment la construction, c’est au prix de quelques omissions sur la nature véritable du matériau.

La réalité du bois-construction

Lorsque l’on construit une habitation ou un bâtiment public, celui-ci doit répondre à des critères sanitaires et de sécurité. Compte tenu de cet encouragement très appuyé des ministres pour les constructions en bois, ce matériau répond-il à ces exigences ?

D’un point de vue écologique, le bois n’est pas forcément la solution miracle espérée : entre l’abattage, le sciage, le rabotage, le séchage, le transport, le conditionnement et toutes les autres phases nécessaires à l’acheminement du bois de son lieu de récolte à son lieu d’exploitation, les quantités d’émissions de CO2 nécessaires à la réalisation de toutes ces étapes sont considérables. On estime que pour une tonne de bois, 147 kg de CO2 sont émis. Par ailleurs, une exploitation intensive de nos forêts, comme le préconise cet accord, tend à fragiliser la biodiversité. Même si les arbres sont replantés, l’écosystème est bien souvent malmené : les forêts nouvellement plantées comportent généralement des essences très peu diversifiées.

En cas d’incendie, il faut rappeler que si le bois résiste globalement mieux qu’avant, le risque d’embrasement est toujours très élevé. Si la résistance du bois au feu a été artificiellement dopée, il ne faut oublier que le bois s’enflammera toujours plus vite que la pierre : ce n’est pas parce que le bois met plus de temps à se consumer intégralement qu’il faut en faire un argument-massue sur le plan de la sécurité. Et lorsque les murs se consument il y a un fort risque d’effondrement de la construction : gageons que si la Grenfell Tower avait été en bois, il ne resterait plus qu’un tas de cendres aujourd’hui. Des projets de tours de 18 étages en bois sont pourtant bien dans les cartons en France et dans le monde. Techniquement faisables aujourd’hui, ces bâtiments sont mis en avant comme des prouesses architecturales, mais font généralement l’impasse sur les traitements qu’a subi le bois pour permettre de telles performances.

Le bois est un matériau vivant qui, une fois abattu, perd une bonne partie de ses qualités : si le bois est naturellement résistant aux intempéries, aux maladies et aux insectes, ce n’est plus le cas une fois « mort ». Pour compenser, le bois est massivement traité à l’aide d’adjuvants chimiques. Lorsqu’il est transformé, comme dans le cas des plaques de contreplaqué ou d’aggloméré, le bois est notamment enduit de colles, à l’origine d’émissions de formaldéhyde. Or, ces dernières sont reconnues comme cancérogènes avérés pour l’homme par le CIRC depuis 2004. Cela ne serait pas si grave si ces substances ne se retrouvaient pas toutes dans l’air intérieur des maisons, des bureaux, des administrations ou des écoles qui seront construits en bois. Sans même considérer les pires scénarii de l’incendie, le bois est déjà un matériau de construction qui peut s’avérer toxique selon les traitements qu’il a subis. Et lorsqu’il s‘agit de le faire durer des décennies, les traitements chimiques sont plutôt lourds.

Considérant ces faits, il est possible de s’interroger sur les conséquences d’une telle alliance : cet accord vient surtout soutenir une filière bois construction dont la situation économique ne justifiait peut-être pas autant d’efforts. Au-delà des aspects économiques, cette alliance contribue à la promotion d’un matériau dont les vertus tant mises en avant se révèlent assez éloignées de la réalité, tandis que bien des risques restent sciemment occultés.

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