Construction navale : où situer la souveraineté nationale ?

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Par Marc Pelletier Modifié le 16 avril 2019 à 10h52
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430 millions d'eurosLe premier projet de la coentreprise Naval Group Fincantieri porte sur 4 ravitailleurs à 430 millions d'euros chaque

La concurrence internationale venue de Russie ou de Chine a changé la donne : les acteurs européens doivent s’unir sous peine de disparaître et de perdre leur souveraineté. L’union fait la force, d’éventuels partenariats entre Européens n’excluant d’ailleurs pas la possibilité de conserver ses spécificités nationales.

Trieste, sur la côte adriatique de l’Italie. Dans les bureaux de Fincantieri, architectes, constructeurs et ingénieurs sont en train de plancher sur les deux prochains navires que l’entreprise – fleuron de l’industrie transalpine – doit livrer à la marine nationale italienne : le navire ravitailleur Vulcano pour 2019 ainsi qu’un porte-hélicoptères d’assaut prévu en 2022.

En Europe, l’Italien Fincantieri partage le marché de la construction navale militaire avec d’autres acteurs comme l’Italien Leonardo, les Français Naval Group et Thalès, l’Allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS), auxquels s’ajoutent de petits acteurs périphériques comme le Suédois Saab et l’Espagnol Navantia. Aucune de ces entreprises, souvent symbolique pour chacun des pays concernés, ne pourra durablement pas faire face, seule, à la concurrence venue de nouveaux constructeurs, comme les Chinois, les Russes, les Coréens, les Japonais ou les Indiens. S’allier, pourquoi pas, mais encore faut-il garantir sa souveraineté, car le secteur est on ne peut plus sensible. La difficulté reste pour les Etats de penser la souveraineté à une échelle nationale mais également européenne. Et un exemple prouve déjà que c’est possible.

Naval Group / Fincantieri, un couple qui fonctionne

L’exemple est concret. L’entreprise française Naval Group et son homologue italienne Fincantieri travaillent déjà ensemble depuis le début des années 90. « Cela fait 27 ans que nos deux groupes travaillent ensemble. J’étais personnellement en charge du projet Horizon en 1993, se souvient Hervé Guillou, aujourd’hui PDG de Naval Group. Nous vivons actuellement une étape très importante en concrétisant cette nouvelle alliance. » Nous sommes en septembre 2018. Le constructeur français se félicite de la signature d’un accord avec son homologue italien, Giuseppe Bono, pour la création d’une nouvelle entreprise commune. Les liens entre l’Italie et la France sont étroits, techniquement et financièrement. Les chantiers navals de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, étaient propriété d’un consortium sud-coréen : ils sont aujourd’hui en passe d’être rachetés à 50% par Fincantieri, le reste se partageant entre Naval Group et l’État.

Derrière ces enjeux industriels se cachent aussi des considérations diplomatiques, à la faveur des relations entre Paris et Rome. Si les rapports individuels entre leaders sont parfois complexes, les projets industriels continuent sur leur lancée. Car les appareils d’Etat et les acteurs économiques, eux, travaillent. « Nous avons la chance d’être dans deux pays européens qui ont une véritable ambition navale, poursuit Hervé Guillou. Cette ambition commune de nos deux États nous donne accès bien évidemment à un socle des programmes binationaux sur lesquels nous pouvons bâtir un avenir commun. Mais si nous souhaitons, dans notre plan industriel, aller plus loin (dans le rapprochement entre les deux entreprises), c’est aussi parce que le contexte du marché mondial a considérablement changé. » L’union ferait bel et bien la force, d’un point de vue industriel comme d’un point de vue politique.

« La sphère politique et gouvernementale se place au-dessus des intérêts de nos deux entreprises, souligne quant à lui Giuseppe Bono, PDG de Fincantieri. Chaque pays et chaque gouvernement ont une politique qu’ils appliquent depuis longtemps et nos deux entreprises ont en bénéficié, respectivement en Italie et en France. J’ai lu dans la presse que certains parlaient de souveraineté perdue, je dois dire que l’Europe existe et j’espère qu’elle existera pour longtemps. Ce projet est donc très important d’un point de vue européen. » Développer l’industrie navale européenne et promouvoir les économies portuaires devraient figurer sur tous les programmes politiques aux prochaines élections européens. Les arguments réducteurs aux accents nationalistes se heurteront sinon très bientôt au principe de réalité appelé concurrence : de petits chantiers épars et indépendants en Europe ne résisteront pas longtemps à la machine de guerre commerciale chinoise ou russe. A elle-seule, la Chine devrait dépasser les Etats-Unis en nombre de bâtiments d’ici 2050. Avec de telles perspectives sur son marché domestique (de notoriété publique fermé aux entreprises occidentales), la Chine disposera sous peu d’une puissance industrielle qui la positionnera en leader sur les marchés mondiaux de la construction navale.

Ne pas répéter les erreurs du passé

La coopération entre pays européens dans le domaine de la construction navale est une sorte de serpent de mer. Des projets de « EADS des mers », calqués sur le modèle de coopération européenne du Groupe Airbus, ont déjà été avancés lors de discussions entre ministres européens, dès 1994, pour la première fois. Dans la foulée, des investisseurs sud-coréens avaient pu prendre pied au sein de groupes du Vieux continent. Ce qui prouve la nécessité de faire front commun en tant qu’Européens. « Notre alliance est avant tout un projet industriel, précise Hervé Guillou. Nous construisons, Giuseppe Bono et moi-même, les bases industrielles de ce projet. En parallèle, un accord intergouvernemental pourra nous rassurer sur la volonté des États de sauver ces industries, sur notre capacité à avoir des relations fluides entre les deux pays, et sur notre capacité à exporter ensemble. » Le chef d’entreprise français est clair : il faut faire attention à ne pas répéter les erreurs du passé, ce processus de rapprochement sera donc progressif et prendra du temps. Mais l’ambition est là, et elle est européenne ; là où devrait désormais se penser la solidarité des pays membres pour construire ensemble et préserver leur souveraineté en matière de construction navale et d’indépendance stratégique.

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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