Droits de l’Homme : le standard « occidental » à l’épreuve du Kazakhstan

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 4 mai 2022 à 18h17
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30%Un quota de 30% de jeunes, de femmes et de personnes handicapées est obligatoire sur les listes des candidats aux élections.

En janvier 2021, malgré la pandémie qui paralysait la planète et une météo agitée, avec des températures descendant par endroits à -35°, le Kazakhstan organisait des élections législatives auxquelles cinq partis politiques et 63,25 % des électeurs ont participé. Un scrutin remporté sans surprise par le parti au pouvoir, l’opposition parlementaire se partageant un tiers des suffrages exprimés.
Lors de ces élections, les médias occidentaux ont critiqué à distance le système électoral, boycotté par une partie de l’opposition. Par ailleurs, en janvier 2022, des manifestations provoquées par l’augmentation brutale du GPL se sont transformées en émeutes. Les affrontements avec des bandes armées par le pillage de dépôts d’armes (3000 armes à feu ont été dérobées) ont fait plus de 230 morts, dont une vingtaine de policiers et militaires. Un mois plus tard, il reste 750 personnes en prison et des centaines de blessés hospitalisés.

Elvira Azimova, Commissaire aux droits de l’Homme de la République du Kazakhstan depuis 2019, porte un regard nuancé sur la situation.

Politique Matin : Comment évalueriez-vous les droits de l’Homme au Kazakhstan, selon les standards occidentaux ?

Elvira Azimova : C’est une question un peu philosophique, mais je vais être pragmatique, compte tenu des particularités de mon activité.

À vrai dire, il n’y a pas de standards occidentaux, de standards du sud, ou de l’est. Il y a des standards internationaux en matière de droits de l’Homme, uniques, qui sont fixés par tous les pays membres de l’ONU. Et les pays membres s‘obligent à respecter et appliquer ces standards au sein de leur pays. Mais évidemment, sans doute y-a-t-il des standards particuliers en France, que vous appelez standards occidentaux, apparus dans votre Histoire avec la Révolution.

Quand on parle des droits sociaux, des droits culturels et des droits de l’Homme, le niveau du respect de ces droits dépend de la situation économique du pays. Mais quand on parle des droits politiques et civils, les exigences sont bien plus rigoureuses et plus strictes. Il est clair que l’État kazakhstanais s’oblige à un niveau maximal de respect de ces droits. Lors des élections, l’an dernier, les observateurs internationaux ont pu constater que tous les citoyens ont le droit et de se présenter, et de voter. Avant ces élections, le gouvernement et le Parlement sortant avaient modifié la législation, afin d’imposer un quota de 30 % de jeunes, de femmes, et de personnes handicapées, sur les listes de candidats.

Lors des évènements de janvier, les droits de l’Homme ont-ils été respectés au Kazakhstan ?

Un groupe spécial a été créé au sein de mon institution pour instruire les affaires liées aux événements de janvier. Une commission indépendante examine le bon respect du droits des gens qui ont été détenus. Les libertés d’expression et de manifestation ont été restreintes pendant cette période, mais il ne faut pas oublier les risques que faisaient courir les émeutes pour la démocratie.

Le commissariat aux droits de l’Homme a commencé à visiter les établissements pénitentiaires après la levée de l’état d’urgence car la législation ne prévoyait pas de cadre juridique pour ce genre de visites pendant.

Nos visites régulières ont permis de prévenir des violations des droits de l’Homme au sein des établissements pénitentiaires, mais aussi de rassurer les proches des personnes détenues.

À la date du 25 janvier, il y avait 1000 citoyens détenus. Au 22 février, il en reste 724, dont 18 venant d’Ouzbékistan, du Kirghizistan, ou encore de Russie. Dans le lot des détenus, il y avait aussi 30 mineurs, dont tous ont été libérés, sauf un, accusé de crimes graves. 270 personnes relâchées sont soumises à des peines alternatives à la prison, comme des contrôles judiciaires.

Le commissariat aux droits de l’Homme a reçu des plaintes pour des faits de menaces et de violences policières pendant les gardes-à-vue. À ce jour, nous avons reçu 80 plaintes de citoyens pour faits de violences policières. Ce chiffre ne tient pas compte des accusations de violences dont font état des citoyens sur les réseaux sociaux.

Certaines de ces plaintes sur les réseaux sociaux mériteraient d’être vérifiées. Leurs auteurs répondent à des interviews, racontent leurs histoires, mais disent avoir peur de déposer plainte formellement. Les procureurs ont la possibilité d’instruire de leur propre chef ces accusations de violence et ont déjà commencé à le faire.

Le Kazakhstan est parti prenant des conventions de l’ONU en matière de droits de l’Homme, et ses tribunaux les font appliquer. Mais, en dernier recours, les citoyens de notre pays peuvent saisir les instances de l’ONU, et ses décisions sont reconnues par notre droit.

Maintenant, il est clair que nous devons modifier la législation kazakhstanaise, afin de mettre en place des lois empêchant les violences policières, alors même que l’État les a dénoncées et interdites.

Nous devons aussi revoir notre système carcéral : la loi prévoit et organise la détention de 10 détenus par cellule, en prison. Et certaines de nos prisons sont âgées de plus de 300 ans ! Nous manquons de moyens financiers pour pouvoir changer rapidement les conditions de détention partout dans le pays. Mais nous sommes conscients qu’il faut y travailler, et nous le faisons.

Mais regardons un peu ce qui se passe ailleurs dans le monde. On voit bien par exemple qu’avec l’afflux massif des migrants, auquel les pays européens sont confrontés depuis quelques années, les droits de l’Homme évoluent. Les conditions d’accueil d’hier, en Europe, ne sauraient être les conditions d’accueil d’aujourd’hui.

Cependant, soyons clairs : l’exigence du respect, et des lois, et du pays, ne me semblent pas violer les droits de l’Homme de ces migrants. De même, l’exigence de devoir s’acquitter des impôts et des taxes pour déposer une demande de titre de séjour ne me semble pas contraire non plus au respect des droits de l’Homme.

J’ai un autre exemple à vous proposer, quant au respect des Droits de l’Homme selon les pays : quid des atteintes faites aux femmes et aux enfants, le respect qui leur est dû, la protection contre les agressions et la violence dont ils sont victimes tous les jours dans certains pays occidentaux ? C’est pourtant aussi un droit de l’Homme, qui doit être défendu partout. Certains pays, dont des pays occidentaux, ont du mal à les faire respecter, à les protéger.

Je ne parlerai même pas des attaques dont sont victimes les valeurs familiales dans certains pays d’Europe, avec l’apparition de nouvelles lois controversées. Ce sont pourtant aussi des Droits de l’Homme qui sont menacés.

En réalité, il est évident qu’aucun pays ne peut ignorer les standards communs en matière des Droits de l’Homme. La vraie question, c’est le chemin que ce pays prend pour atteindre ces standards, et à quelle vitesse. Non seulement l’État, mais aussi la société, mais aussi l’Homme lui-même, doivent y participer.

La Chine, voisine du Kazakhstan, est régulièrement montrée du doigt par l’Occident pour son non-respect des droits de l’Homme. Qu’en pensez-vous, en « voisin » ?

On peut dire cela de chaque pays. On peut dire que chaque pays ne respecte pas les droits de l’Homme, aussi bien la Chine que le Kazakhstan ou la France.

Mais la question suivante est : quels sont les arguments qui confirment cette position ? Ce qui est le plus important dans cette question, c’est l’ouverture au dialogue, et ensuite, l’acceptation, et la volonté de corriger la situation. Si le pays n’est pas d’accord avec cela, il faut lui donner l’opportunité raisonnable de démontrer que la situation est différente. Le dogmatisme ne peut pas exister sur les questions qui touchent aux droits de l’Homme. Car la politisation de ces questions a parfois des conséquences désastreuses. Voilà pourquoi nous disons que les droits de l’Homme doivent toujours être respectés quel que soit le régime, car cela établit les relations de confiance entre l’Homme et l’État.

Rappelons que les instances de l’ONU en charge de la protection et de la défense des droits de l’Homme publient chaque année un rapport, avec des recommandations. Figurent dans ce rapport de nombreux pays, dont, par exemple, encore dernièrement l’Italie ou même la France…

Au Kazakhstan, le commissariat aux droits de l’Homme est apparu par le biais d’un décret présidentiel, en 2002. En 2017, le mécanisme de nomination du commissaire des droits de l’Homme a été intégré à la Constitution, et son mandat est fixé à cinq ans. Le commissariat aux Droits de l’Homme a vu ses missions renforcées en 2021, sur initiative du président Tokayev, avec la création de représentations dans les différentes provinces du pays.

Ces dernières années, la loi a consacré la liberté d’association, la liberté des partis politiques et des syndicats. Ce qui est important, c’est de ne pas faire de pas en arrière, mais d’aller toujours vers l’avant.

J’ai pour ma part été élue en 2019. Mon prédécesseur a occupé ce poste pendant douze ans. Depuis, j’ai dû gérer le dossier compliqué de la pandémie et des restrictions des libertés d’aller et venir, liées à cet épisode. J’ai veillé au bon respect du processus électoral l’an dernier. Nous travaillons sur les conséquences des émeutes de janvier. De grandes réformes politiques et économiques sont annoncées pour la mi-mars.

Tous les jours, nous faisons progresser les droits de l’Homme au Kazakhstan. Les résultats de notre travail sont évalués non seulement par l’État, mais aussi par les représentants des organisations internationales avec lesquelles nous coopérons, et nous sanctionnent tous les ans. Je ne ralentirai pas la marche !

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Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin. Il est également intervieweur économique sur RTL dans RTL Grand Soir (en semaine, 22h17) depuis 2016.Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time. En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007.Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an.En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier. Il a également été éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018. Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont notamment "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ainsi que "le Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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