La non rétroactivité : clé de la réforme sociale

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Par Bernard Cherlonneix Modifié le 10 juin 2015 à 10h45
France Reformes Gouvernement Manuel Valls

Les réformes difficiles ne sont envisageables que si elles sont acceptables pour ceux qu’elles vont affecter le plus. Il ne suffit donc pas qu’elles soient judicieuses dans l’absolu ou nécessaires sur le papier.

La non rétroactivité, ce principe général du droit constamment transgressé, est une des conditions essentielles de cette acceptabilité des réformes délicates, ou la progressivité lorsque la rétroactivité est inévitable. Intégrer cette donne consiste à passer mentalement du modèle réflexe de la thérapie de choc, toujours différée parce qu’elle est un modèle de réforme justement rédhibitoire, à celui de la réforme asymptotique, mise en œuvre sans délai.

Les désastres de la thérapie de choc

On a vu sévir les adeptes de la « thérapie de choc » dans les pays de l’Est après la chute du mur de Berlin ou dans les pays en voie de développement, de préférence à l’abri du statut protecteur du FMI (exonérateur d’impôt sur le revenu) et logés dans les hôtels de luxe. Ils ont comme point commun d’être des partisans du « choc thérapeutique » pour les autres, moins bien lotis, comme le souligne Joseph Stiglitz. Ils sont prêts à passer par pertes et profits les immenses souffrances sociales qu’il peut entraîner. Une telle « thérapie » a conduit à des soulèvements populaires, détruit ou abattu des sociétés civiles et consolidé des classes dirigeantes corrompues. Elle a souvent compromis dans l’esprit des populations ou de certaines classes sociales l’idée même de réforme, alors que des réformes ouvrant des perspectives nouvelles étaient attendues ou auraient été acceptées pourvu qu’elles tiennent compte de ce que nous respectons à juste titre sous le nom de droits acquis. Sous ce nom déconsidéré, il ne s’agit de rien moins que du respect des engagements pris à l’égard de personnes ou de catégories de la population, qui ont posé des choix de vie en fonction de ces engagements. Les réformes brutales qui n’en tiennent pas compte ne peuvent que faire régresser le soutien social et politique aux réformes, en France comme ailleurs. Elles débouchent sur le statu quo, l’impuissance politique et le désespoir.

Privilégier des réformes différentielles

Réformer en profondeur veut donc dire renoncer au grand soir de réformes en bloc au profit de réformes différentielles, s’appliquant à la marge à ceux qui sont informés à l’avance du changement des conditions qui leur seront appliquées, de manière donc quasi-contractuelle. On pourrait soutenir que ce changement de paradigme de la réforme, condition de sa recevabilité politique et sociale, n’est du coup pas à la hauteur de la tâche à accomplir. Nous prétendons le contraire. La mise en oeuvre rapide de réformes ne s’appliquant que pour le futur aurait un impact psychologique immédiat majeur en créant une sorte de « choc de confiance », même si l’effet macro-économique (statistique) à court terme d’une politique renonçant à réformer « l’ensemble » (le stock) pour se contenter d’appliquer les réformes aux nouveaux venus (le flux) serait inévitablement limité. L’adoption de ce nouveau paradigme ferait de plus instantanément franchir un saut considérable à la crédibilité internationale de la France et cet impact externe renforcerait en retour la légitimité interne du Gouvernement élu sur un tel programme de réforme. La « sortie de crise », qui n’est aujourd’hui qu’une sorte d’imprécation fataliste, deviendrait alors envisageable.

Réformer pour le futur

Qu’il s’agisse de mettre en place un contrat unique de travail comme le propose Jean Tirole, sans discrimination en faveur du secteur public, de remise en cause du champ d’application du statut de la fonction publique ou des régimes spéciaux de retraite (en prenant au mot les grandes centrales syndicales dont l’égalité est le credo théorique), de modulation sectorielle et géographique des minima salariaux comme le propose l’économiste Jacques Bichot rejoint par d’autres comme Gilbert Cette, il convient de le faire pour l’avenir : par exemple sans toucher le niveau du SMIC pour les salariés actuellement au SMIC. Réformer pour le futur abaisserait considérablement la barrière psychologique s’opposant légitimement à une réforme en bloc changeant la situation de tous. Et lorsque la non rétro-activité est inévitable, comme c’est le cas pour la réforme de « l’insoutenable » régime général des retraites par répartition, il convient de s’en rapprocher le plus possible, comme cela se pratique déjà, en modulant la mise en œuvre de la réforme en fonction de l’âge de la personne à la date de la réforme.

Vers des réformes progressives et démocratiques

Si ce nouveau paradigme de réforme, qui concilie le respect des droits acquis avec la nécessité des adaptations, n’a encore jamais été promu dans aucun programme politique, c’est qu’il ne faut pas sous-estimer son ambition : le pas à franchir par les syndicats de salariés pour entrer dans cette logique est immense, puisqu’il s’agit d’admettre, à la marge certes, un moins disant social, mais surtout de transgresser le sacro-saint principe de l’égalité statutaire. C’est pourquoi seule l’onction du suffrage universel rend concevable le franchissement de ce pas. Seuls donc une inclusion explicite dans un programme politique et un clair soutien démocratique rendront possible l’adoption de ce principe ambitieux de réforme asymptotique mise en œuvre sans tarder. La démocratie ne peut faire l’impasse du courage politique, qui consiste au fond à proposer de remplacer des institutions insoutenables par des institutions soutenables dans le long terme. Entre le cauchemar des thérapies de choc à l’usage d’autrui et la perpétuelle fuite en avant dans l’endettement, il doit y avoir place pour une réforme progressive en profondeur démocratiquement décidée.

Article publié initialement sur le Monde.fr

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.

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