Pourquoi la « dette odieuse » va revenir sur le tapis en Europe

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Par Simone Wapler Modifié le 18 février 2015 à 10h20
Syriza Dette Grece Union Europeenne

Le ministre des finances grec Yanis Varoufakis est un expert du concept de "dette odieuse" et c’est beaucoup moins anodin que son absence de cravate ou son écharpe burberry. Le dossier grec va refaire surface, soyez en sûr.

La dette odieuse est une notion de droit international qui a émergé en 1927 et a été codifiée par le juriste expert en finance publique Alexander Sack.

Le concept de dette odieuse

"Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…). Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir (…) On pourrait également ranger dans cette catégorie de dettes les emprunts contractés dans des vues manifestement intéressées et personnelles des membres du gouvernement ou des personnes et groupements liés au gouvernement — des vues qui n’ont aucun rapport aux intérêts de l’État".

Les deux dettes de la Grèce

Par la suite, dans les litiges internationaux, on estime que trois conditions permettent de qualifier une dette publique d’odieuse : elle a été contractée au titre du pays mais par un dictateur ou un régime despotique en vue de consolider l’autorité de ce régime. Elle a été contractée pour servir l’intérêt personnel des dirigeants en place Les créanciers connaissaient cette situation et la destination des fonds prêtées. Lorsque ces conditions sont réunies, le pays a le droit de faire défaut sur cette dette odieuse, les créanciers prennent leurs pertes et le FMI s’en lave les mains. Yanis Varoufakis veut annuler la dette de son pays au motif qu’elle est odieuse mais toutes ces conditions ne sont pas remplies. Dans le cas de la Grèce on pourrait dire qu’il y a deux dettes : celles d’avant les restructurations, d’avant 2010 et celles contractées après.

Grèce : les impôts ne rentrent pas

Les Grecs ont légitimement élu des gouvernements corrompus, étatistes de droite ou de gauche, qui gouvernaient la main dans la main avec une kleptocratie religieuse, financière, etc. Certes une partie de la dette publique a enrichi cette clique et a nourri le capitalisme de copinage. L’autre partie de cette dette a permis de créer de nombreux postes de fonctionnaires inutiles mais bien payés, d’avancer l’âge de la retraite, de relever le smic, d’accorder des congés payés supplémentaires,… Tout ceci financé par le déficit dans un pays dans lequel les impôts ne rentrent pas. Il y a bien là aussi corruption : celle des électeurs par des régimes social-clientélistes et démagogiques. Cette dette n’a pas servi que les intérêts personnels des dirigeants. Le peuple grec en a profité.

210 milliards d'euros d'aides

Après la première restructuration, en mai 2010, avec 110 milliards d'euros d’aide, tout change. La situation de la Grèce est connue, on sait que les comptes publics ont été trafiqués et "les créanciers connaissent la situation et la destination des fonds prêtés". L’argument de Yanis Varoufakis consiste à dire que prêts et restructurations ont été accordés pour sauver les banques grecques et c’est vrai, en grande partie. Cette première restructuration ne remédie pas à l’insolvabilité du pays, ne fait que mettre la poussière sous le tapis, la technique anglo saxonne connue d’ "extend and pretend" : allonger les maturités de la dette et prétendre qu’elle peut être remboursée. Deuxième restructuration en 2011 avec cette fois 109 milliards d'euros d’aides. 210 milliards d'euros d’aides pour un pays dont le PIB est de 230 milliards d'euros.

La Grèce reste insolvable

Ceux qui ont repris la dette grecque à cette date – Union européenne, Fonds Européen de stabilité financière puis Mécanisme européen de stabilité et Fonds monétaire international - savaient alors que la Grèce était insolvable. Ou bien, s’ils ne le savaient pas, ils étaient gravement incompétents. Que faisait donc Dominique Strauss Kahn, président du FMI à cette époque ? Depuis 2008, crise de surendettement, la dette mondiale – privée et publique – enfle. La politique de l’ "extend and pretend" est devenue la norme et lorsque cela ne suffit pas on vient superposer de la création monétaire.

Ce n’est pas la dette qui est odieuse, ce sont les régimes démocratiques démagogiques et corrompus qui achètent à crédit par le déficit public les voix de leurs électeurs en leur promettant toujours plus de redistribution d’argent qui n’existe pas. Voyez ce qu’a promis Tsipras à ses électeurs : de l’électricité gratuite, la hausse du smic, l’embauche de 10 000 fonctionnaires,… La France ou l’Italie ne valent pas mieux sur ce plan que la Grèce.

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers.Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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