Manuel Valls a t-il raison d’évoquer une guerre des civilisations ?

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Par Christophe Premat Modifié le 28 juillet 2015 à 11h59
Guerre Civilisation Expression Manuel Valls

L’expression est sans doute excessive, elle donne à mon sens beaucoup d’importance à l’acte barbare commis le 26 juin dernier en Isère au nom de l’organisation terroriste L’Etat Islamique.

Le Premier ministre l’a utilisée dans un souci de vigilance, il importe néanmoins de revenir à ce que cette citation sous-entend. De nombreux observateurs ont comparé cette citation à la rhétorique néoconservatrice américaine au lendemain des attentats du 11 septembre. Georges W. Bush avait alors repris l’expression clash of civilizations du politologue Samuel Huttington pour qualifier la nouvelle époque dans laquelle le monde entrait le 12 septembre 2001. Samuel Huttington n’avait pas évoqué une guerre mais un choc de civilisations dans son célèbre article paru dans Foreign Affairs en 1993. Lorsqu’on examine le contenu de cet article, on y trouve une cartographie des valeurs avec des ensembles culturels vastes (monde occidental, monde arabo-musulman….) transcendant les Etats traditionnels. Le risque serait évidemment d’essentialiser ces valeurs et d’opposer les projets politiques les uns aux autres. Les valeurs ne se démontrent pas, on se bat pour elles, elles sont innées, elles peuvent également être altérées.

Passer du choc des civilisations à la guerre des civilisations est simplificateur. La guerre suppose des belligérants et un affrontement ; or, nous luttons contre Daech sans pour autant avoir envoyé de troupes terrestres pour éliminer cet ennemi. En réalité, dans l’expression « guerre de civilisations » se cache une mutation profonde de notre relation à la guerre qui se reflète ces derniers mois par les différents projets de loi adoptés sur la lutte contre le terrorisme et la modernisation de notre système de renseignement. La guerre n’a plus de champ de bataille, elle est logistique, numérique et se traduit par la présence d’une menace permanente en dehors des frontières. La guerre n’est plus territorialisée, elle est extraterritoriale, les combattants devenant des terroristes utilisant les réseaux sociaux pour susciter des actes barbares et spectaculaires ayant un impact médiatique. L’ennemi est intérieur et cette mutation profonde répondant à la thèse que le juriste nazi Carl Schmitt avait énoncée en son temps: la guerre s’internationalise au point de devenir une guerre civile planétaire avec la substitution aux ennemis extérieurs d’un ennemi intérieur qu’il faut traquer sans relâche.

Ce nouveau partage ami / ennemi modifie notre relation à ces valeurs et appelle une sécurité plus forte. Si cette réponse est nécessaire, je préfèrerais que l’on utilise l’expression de « politique de civilisation » d’Edgar Morin que l’ancien président Sarkozy avait citée dans un discours de vœux sans en comprendre la teneur. La politique de civilisation révèle la complexité et la richesse de nos civilisations, elle nous invite à oser de nouvelles alliances géopolitiques et à rechercher des espaces communs impensés. Je serais tenté de conclure par un « non à la guerre de civilisations, oui à la politique de civilisation ».

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Christophe Premat est député, socialiste, des Français établis en Europe du Nord. À l’Assemblée Nationale, il siège à la Commission des Affaires Culturelles et de l’Education et est membre du groupe d’amitié France-Suède ainsi que du groupe d’études « Arctique, Antarctique et Terres australes et antarctiques françaises ». Il est également membre du Conseil d’administration de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger).

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