Ces hommes politiques tout droit sortis de l’album d’Astérix “La Zizanie”

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Par Yves Enrègle Modifié le 9 juin 2017 à 6h55
Resultat 1er Tour Presidentielle Macron Le Pen

Quiconque (re)lira l’excellent album signé Goscinny et Uderzo remarquera les similitudes entre ces personnages de fiction et ceux qui animent la vie politique françaises de ces dernières semaines.

César en a assez. Le petit village résiste toujours et encore à l’envahisseur romain. Et toute attaque frontale se solde par de cuisants échecs. Mais César connait le modèle RGOM mieux que nous. Il sait que l’invulnérabilité du village gaulois repose sur la capacité à formuler la stratégie (G, le Guide, Astérix) puis à la mettre en œuvre (R, le réalisateur, Obélix). César sait que R et G sont indispensables l’un à l’autre précisément parce que leurs différences les rendent complémentaires. A condition, toutefois, que ces différences ne les amènent pas à ne plus se supporter ! La clé de voûte du système est donc la coordination des deux. C’est le rôle de l’organisateur (O, le chef de village, Abraracourcix debout sur son bouclier) et son boulot n’est pas facile : « Fluctuat » le bouclier ! Et bien souvent « mergitur ».

Tullius Destructivus

Alors César se dit « cette fois je les tiens », je vais détruire le maillon faible en m’attaquant à la clé de voûte Abraracourcix. Pour ce faire, César recrute le plus fascinant fauteur de troubles qu’on puisse imaginer : Tullius Destructivus. Neutraliser la clé de voûte (O) va être, pour lui, un jeu d’enfant. Il arrive devant la sentinelle d’une des portes du village, lui dit que la potiche qu’il transporte est un cadeau qu’il souhaiterait faire à « l’homme le plus important du village ». Et alors :

Pour la sentinelle, « l’homme le plus important de village » ne peut être que le chef. D’autant plus que c’est précisément le jour de son anniversaire. Elle prévient donc le chef de village qui sort de sa hutte, en tenue d’apparat, debout sur son bouclier. Tout le village est là pour assister à la cérémonie. Tullius Destructivus passe devant le chef sans même le regarder et va offrir le cadeau à Astérix lui-même. Astérix chef ? Ce n’est tout simplement pas son rôle. Il en est lui-même surpris et Tullius Destructivus n’a plus qu’à repartir en repassant devant le chef abasourdi et effondré.

Cette scène va déclencher une série de doutes, d’interrogation, de remises en cause, chez tous nos gaulois Et il va en résulter une dynamique les conduisant très rapidement à une fabuleuse zizanie. Cette zizanie n’est rien d’autre que l’expression d’une colère d’un peuple ; colère plus ou moins rentrée, en tout en cas toute prête à jaillir au grand jour. Ce qu’elle va faire ici.

Le rôle primordial du « Druide »

Très tôt, le candidat Emmanuel Macron avait déclaré (le monde 7 Avril 2017) [si je suis élu] « je serai un président qui préside et j’aurai un gouvernement qui gouverne ». En clair, au Président la formulation de la stratégie, au Gouvernement sa mise en œuvre. Dès ce moment-là, l’identification de tous les pouvoirs de notre modèle est claire dans son esprit :

« G » : le Président

« R » : le Gouvernement

Et, pour articuler « G » et « R » : « O » le Premier Ministre

Bref, le candidat Macron ne veut en aucun cas monter sur le bouclier toujours très instable du chef du village.

Nous montrerons comment le village gaulois va se sortir d’une zizanie qui l’aura mis au bord du gouffre : on se doute que le Druide (et sa potion magique) va jouer un rôle déterminant. Druide que nous avions assimilé au pouvoir du Mobilisateur (M). Rappelons que, dans ce modèle, le Druide n’est là que lorsque « O » n’arrive plus à faire le lien entre « G » et « R » (que leurs différences ont trop éloigné l’un de l’autre, amenant le chef à avoir des bras trop courts pour faire le lien). Le druide « M » calmera le jeu, remettra le chef debout sur le bouclier, faisant ainsi redémarrer la machine gagnante et repartira dans la cabane jusqu’à l’incident suivant. Ayons cela en tête au moment où le candidat Macron va entamer l’(entre deux tours). Alors qui est Tullius Destructivus dans ce contexte d’entre deux tours ? Traduisons : où se trouve la colère (rentrée ?) du peuple et comment s’exprime-t-elle ?

Tullius Destructivus alias « Lepenanchon »

Le rapprochement des insoumis de Jean Luc Mélenchon d’avec les frontistes de Marine Le Pen est frappant. Ils sont unis dans une logique de « dos au mur » d’un « perdu pour perdu essayons autre chose ». Ils partagent déception, désespoir, détresse. Ils ont la même colère. Il y a maintenant beaucoup plus de points communs entre la droite libérale et la gauche libérale, qu’entre la gauche libérale et la gauche libertaire, ou qu’entre la droite libérale et la droite antilibérale. Le F.N. n’est plus (si tant est qu’il ait jamais été) l’héritier de la droite légitimiste « contre révolutionnaire ». Il est un avatar construit sur deux composantes, populisme et nationalisme. Les « Insoumis » sont, à leur façon, attirés par ces deux mêmes composantes.

Pour preuve : leur position commune sur de multiples thèmes de première importance : les traités européens, la monnaie commune, le dumping social et même l’écologie. D’ailleurs, les relents nationalistes de Jean Luc Mélenchon sont soulignés par les medias. Idem pour le populisme. Tout ça fait que M. Le Pen et J-L Mélenchon : même combat. Tullius Destructivus est bel et bien présent dans notre village sous les traits mélangés de Marine Le Pen et de Jean Luc Mélenchon. Tullius Destructivus c’est la colère de la chimère « Lepenanchon ». Il est donc inexact de dire que, pour le deuxième tour, le candidat Macron a 2,7 points d’avance sur son adversaire. Il serait plus proche de la vérité de dire que le candidat Macron a 16 points de retard sur Tullius Destructivus alias Lepenanchon.

Et ceci est inquiétant à plus d’un titre car ce Destructivus là est bel et bien celui de l’alliance « national-populiste » avec le socialisme : n’oublions pas en effet que J.L Mélenchon n’a jamais cessé d’être socialiste et même socialiste d’extrême gauche (voir la VIe république qui se rapproche bien, dans sa conception, d’une république de soviets). Alors, quand nationalisme et socialisme s’allient sous fond de populisme, on ne peut pas ne pas avoir de frissons (à moins de souffrir d’amnésie), en repensant aux années 30. Et ce qui est particulièrement inquiétant, c’est la forte probabilité pour que cette « chimère » arrive au pouvoir sur l’une de ses deux têtes : voici une conséquence directe de ce nouveau clivage « peuple- élite de ce peuple ». Ceci semble par ailleurs bien correspondre à la répartition des voix entre « Lepenanchon » (peuple), Macron (élite de ce peuple).

Dans ce cas, arithmétiquement Emmanuel Macron ne passe pas. Il faudrait donc qu’Emmanuel Macron se mette en colère à son tour, pour montrer et faire sentir qu’il est également en colère contre tous ceux qui ont amené le peuple à ce désarroi… Sinon, non seulement il perd, mais il laisse les « nationaux-socialistes » prendre le pouvoir. Un espoir quand même, J.L Mélenchon ne semble pas devoir appeler à « voter Le Pen ». On peut d’ailleurs le comprendre. Si nous nous rappelons qui est J.L Mélenchon on comprend qu’il soit gêné pour nous dire lequel des deux candidats il faut rejeter, donc lequel il faut appuyer. Comment lui, l’ancien trotskyste, pourrait ne pas rejeter tout ce qui, de près ou de loin, peut avoir des relents de Fascisme ???

Mais l’oligarchie lui donne tout autant, voire plus, d’urticaire. « Entre Macron et Le Pen choisissez votre voix préférée pour aller en Enfer » pourrait-il penser-et dire. Il faut souhaiter bon courage et bonne chance à Monsieur Macron et lui rappeler que son adversaire n’est pas à deux ou trois points derrière lui, mais à 16 points devant !!! Car son adversaire, c’est celui qui va montrer au peuple français qu’il partage sa colère. C’est un peu la version 2017 du « je vous ai compris » du général de gaulle et Dieu sait si Jean-Luc Mélenchon excelle dans l’usage de l’empathie électorale. A contrario, comment faire ressentir au peuple de France que vous aussi vous ressentez cette même colère, même si on se rend « dans une grande brasserie du quartier Montparnasse » (sic) diner avec ses proches soutiens et collaborateurs pour fêter son succès.

La réalité est autre, elle est :

19,58% (Jean-Luc Mélenchon) + 21,30% (Marine Le Pen) : 40,88% (Lepenanchon) à comparer aux 24%

C’est là que se trouve la réalité à impérativement maitriser dans le très court entre deux tours, faute de quoi Tullius Destructivus alias Le Penanchon sera bien installé dans le village. Car, même si Emmanuel Macron est élu, les 40% s’exprimeront dans une opposition farouche, au besoin dans la rue, faute d’autre tribune. Cette terrible addition menant à ces 40,88 % montre bien que, à ce jour, seul Tullius Destructivus, alias Lepenanchon, a su faire miroir de la colère du peuple. Et il suffit de que la Chimère soit présente avec une seule de ses deux têtes pour que cette dynamique fonctionne. Mme Le Pen peut très bien récupérer une bonne partie de l’électorat de Jean Luc Mélenchon car les lignes de fracture ont bougé. Ce n’est plus nécessairement « droite-gauche », mais plus vraisemblablement « peuple-élite du peuple » : Le peuple (Lepenanchon) versus l’élite de peuple (Emmanuel Macron).

Coup de théâtre !

De façon tout à fait surprenante et inattendue, Marine Le Pen semble avoir totalement raté le débat du 4 mai avec Emmanuel Macron. Elle prétend le contraire, mais il apparait qu’elle est bien la seule de cet avis et les sondages sont sans pitié. Bref, la Chimère « Lepenanchon » explose en vol. Mais, bien évidemment, ce qui était à la base de l’existence de cette Chimère (la colère du peuple) n’en disparait pas pour autant. Simplement, elle ne peut plus s’exprimer sur Marine Le Pen.

Dès lors, il n’y a pas besoin d’être Madame Soleil pour prédire une victoire assez large d’Emmanuel Macron, la colère des 40% se réfugiant très vraisemblablement dans l’abstention et les votes blanc ou nuls. Mais gare à la suite (les législatives !)

Lundi 8 Mai

Les résultats sont effectivement conformes aux faciles prédictions qu’on pouvait faire. Ceci dit ils sont encore plus nets que prévu puisque ce n’est pas 60%-40% en faveur d’Emmanuel Macron mais 66%-34% ! Mais le succès d’Emmanuel Macron est entaché d’une grosse interrogation (pour ne pas dire inquiétude), du fait de la masse des électeurs qui ont refusé de faire un choix, rejetant ainsi les deux candidats. Donc, les « vrais » résultats devraient être affichés ainsi (par rapport au nombre d’inscrits).

Emmanuel Macron : 43,6%
Refus des 2 candidats : 33%
Marine Le Pen : 23,4%

Le Président Macron est le seul désormais à avoir clairement cette image de GM (G Chef de village/Le Président + M Mobilisateur). Reste à ce que son Premier Ministre soit le O. Quant au R (l’expertise, la capacité d’action hors du commun : Obélix) c’est le gouvernement du Premier Ministre qui l’investit collectivement et fort bien d’ailleurs si l’on en croit les propos de Luc Ferry sur LCI (Le 19 mai 2017à 20h45) : « le gouvernement est très habilement composé », « c’est le meilleur gouvernement qu’ait pu avoir la France ».

Là, on commence à y voir clair et l’équipe peut-être gagnante prend la configuration suivante :
GM, le Président Emmanuel Macron ;
O, le Premier Ministre Edouard Philippe ;
R, le Collectif gouvernemental.

Comment le village gaulois s’est-il sorti de cette zizanie ?

Tout semblait perdu et ils avaient touché le fond.

Alors, pour faire renaitre le village gaulois, il faut retrouver la dynamique de base de l’équipe gagnante :
1/*G*M Astérix et Panoramix
2/R*O* Obélix et Abraracourcix

Au total RGOM

Le RGOM est ainsi complet, réparti sur deux acteurs. Dans l'entre-deux tours il a fallu que le candidat Macron revête la tunique de M en plus de G. Car, avec la prise en compte de la colère du peuple, le pouvoir de type M a pour fondement le charisme par l'empathie du " je vous ai compris ". Donc il nous faut comprendre comment le village peut renaître. Ils n'y vont pas quatre chemins, ils vont créer le manque. Sous la conduite du druide lui-même (M), accompagné d’Astérix (G), et d’Obélix (R), ils quittent carrément le village.

"O" est abandonné, le chef est seul, et se casse la figure comme d'habitude.

Panoramix, Astérix, Obélix en moins ça crée un sacré manque. Pour tout arranger, le chef est par terre : disparition de tous les pouvoirs ! Manque. Affolement. Mais G et R sont ensembles, alors une action réussie est possible. M se substitue sans problème à O (comme c'est son boulot quand O est par terre) pour, sans aucune difficulté, créer une bonne cohésion entre G et R. Dès lors le succès est là, les Romains remis à leur place, la potion magique à nouveau active et un maniement réussi de la pagaïe retourne l'action de Tullius Détritus contre lui-même. Dès lors les trois peuvent revenir. Prendront-ils le pouvoir ?

Oui, mais pour le rendre aussitôt.

Et tout repart comme d'habitude.

Mais notre village réel, lui, n'est pas allé jusqu'à la zizanie complète. Loin de là. Et le début de l'action en éloigne (définitivement ?) la perspective. Gardons en tête deux choses :
- Si elle devait se produire, le jeu sur l'absence de pouvoir, tel qu’Astérix nous le décrit, pourrait tout faire rentrer dans l'ordre ;
- Attention ! il ne faut pas que le Président ("GM") empiète sur le Premier Ministre ("O").

Pas trop d'inquiétude non plus : Emmanuel Macron déclarait d'ailleurs (Le monde du 7/4) qu'il voulait revenir à la lettre et à l'esprit de la Vème république en retrouvant les fondements de sa Constitution (décidément Michel Debré avait dû lire Goscinny et Uderzo !) Bref le bouclier du chef va tanguer car le président a été élu avec moins de la moitié des voix des français et la colère des 40% est grande. Bref, Tullius Detritus est toujours là, ce n'est plus exactement le Lepenanchon de l'entre-deux tours, c'est « la colère des 40% + certains médias ».

Derniers exemples en date de l'action de destruction : les accusations portées contre Richard Ferrand. C'est le problème de O exclusivement, il ne faut pas que GM s’en mêle. Dans les discussions avec les partenaires sociaux, GM ne doit intervenir que pour amorcer la pompe, puis il doit laisser O mener la totalité de l'action. M ne doit intervenir dans ces domaines que si le chef O « Abraracourcix -Édouard Philippe » est trop secoué, si le bouclier tangue très fort ou s’il tombe. Là, et seulement là, le "M" de GM doit intervenir pour le remettre en selle et dès que c'est fait, M doit rentrer dans le silence de son Palais. Ceci posé, si M ne parvient pas à remettre "O" en selle, peut-être devra-t-il jouer la dernière carte. Celle du mobilisateur négatif "M-", le druide n'ayant pas pu faire l'unanimité « autour de lui », on va être obligé de rechercher une unanimité "contre".

Contre qui ?

Contre le barde - le rôle (souvent ingrat) du Premier Ministre comprend également le rôle de fusible -. C'est en cela que le barde est toujours l'assurance contre tout danger. Ce n'est pas pour rien qu'il est appelé "assurance_tout_rix". Même chose en ce qui concerne certaines rues qui seraient " interdites" aux femmes dans le quartier La Chapelle-Pajol (voir le monde daté du 23 mai 2017 page 16). C'est à "O" d'agir, vérifier, établir, imaginer des solutions. Et les faire mettre en œuvre par son gouvernement "R ".

"M", donc ici "GM", reste en retrait, veille au grain. Il ne bouge pas sauf si "O" est très secoué et tombe du bouclier. Alors "M" prend la parole, joue de son charisme - sa "potion magique"-. S'il réussit, c'est doublement gagné, le problème est réglé et le peuple qui a assisté au psychodrame de "O" et "R" collectif en ressort plus que jamais unis au tour du "GM". La cohérence encore plus forte de la population n'est pas le moins important. Et si "M" échouait, le fusible peut jouer. Mais je ferais personnellement le pari que ça n'ira pas jusque-là.

En attendant, c'est à "O" de conduire la campagne électorale, car il faut que tous les autres le reconnaissent comme chef et, pour la gagner, il devra appliquer les règles clairement définis. Il met les mains dans le cambouis, répond aux questions des auditeurs à la radio et mène la réforme du Code du Travail voulue par M.

Quant à "M", qu'il continue son travail régalien pendant ce temps - à l’image du « Make Our Planet Great Again », prononcé suite à l’annonce de Donald Trump de retirer les Etats-Unis des accords de Paris sur le climat - : c'est la meilleure façon de donner aux français l’envie de l’appuyer par leurs votes. Et dans le même temps, que le chef soit bien le chef, et certainement pas le collaborateur d'un " hyper président ". Oui, même Astérix reconnait Abraracourcix comme chef. Mais ça s’appelle quand même les aventures Asterix.

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Yves Enrègle est Président du réseau de recherche Propédia et doyen de la recherche du Groupe IGS.

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