Impôt prélevé à la source : une ardoise de 40 millions d’euros pour les successeurs

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Par Jacques Bichot Publié le 19 juin 2015 à 10h55
Impots Prelevement Source Facture Contribuable

Beaucoup a été dit sur la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, mais un fait de grande importance n’a pas été remarqué : l’année non imposable sera bel et bien perdue pour le fisc ; et elle sera offerte en cadeau aux héritiers.

Ce cadeau s’étalera sur des décennies, mais il atteindra au total des dizaines de milliards. Les personnes dont les parents d’un certain âge perçoivent de confortables retraites peuvent dire merci à Michel Sapin : que celui-ci s’en soit ou non rendu compte, si saréforme se fait, lorsqu’ils hériteront le fisc obtiendra d’eux nettement moins que ce n’aurait été le cas en l’absence de passage à la retenue à la source. François Hollande, Manuel Valls et Michel Sapin au service des riches héritiers : cela ne fait certes pas partie du programme officiel de leur réforme, mais c’est pourtant ce qui arrivera s’ils persistent dans leur projet.

Pour montrer comment les choses vont se passer, prenons le cas d’un retraité percevant annuellement 100 000 € de revenu imposable, qui passe de vie à trépas début 2020. Nous examinerons successivement ce qui se passera pour sa succession si le régime fiscal actuel subsiste (hypothèse 1) et ce qui arrivera si la réforme Sapin est mise en œuvre (hypothèse 2).

Héritage sans la réforme Sapin (Hypothèse 1)

Le défunt a payé en 2019 ses impôts sur ses revenus de l’année 2018. Pour ceux de l’année 2019, c’est à ses héritiers de prendre le relais : ils font à sa place la déclaration d’impôt qu’il aurait lui-même rédigée (ou du moins signée) s’il était encore de ce monde. L’administration fiscale traite cette déclaration, calcule le montant qui lui est dû, et le communique au notaire en charge de la succession, qui soustrait cette somme de l’héritage pour la verser au percepteur.

Dans notre exemple, supposons pour simplifier que le barème de l’impôt sur le revenu 2019 soit le même que celui sur le revenu 2014, et que le de cujus n’ait pas ou n’ait plus de conjoint, si bien que l’imposition de ses 100 000 € se fait sur une seule part. La formule applicable au revenu R est 0,41 R – 14 432,78, ce qui pour un revenu imposable de 100 000 € donne 26 567 €. Telle est la somme que le notaire prélèvera sur le montant de l’héritage pour la verser au percepteur.

Héritage avec la réforme Sapin (Hypothèse 2)

Le défunt a payé « au fil de l’eau », en 2019, ce qu’il doit au fisc pour les revenus perçus durant l’année 2019. Il n’a rien versé de plus qu’en l’absence de réforme, puisque dans l’ancien système il aurait versé en 2019 l’impôt sur ses revenus 2018 (supposés égaux, en première approximation, à ceux de 2019). Le montant global de l’héritage sera donc le même que dans l’hypothèse1. Mais cette fois, le notaire n’a rien à soustraire à ce montant pour le verser au fisc au titre de l’impôt sur le revenu 2019 du de cujus.

Certes, le fisc se rattrapera en partie avec les droits de succession, mais dans le meilleur des cas, celui où la totalité de l’héritage irait à des personnes sans lien de proche parenté avec le défunt, le taux serait de 60 %, ce qui laisse 10 627 € (40 % de 26 567 €) de moins-value fiscale du fait de la réforme Sapin. En général, le taux d’imposition sur l’héritage sera très inférieur à 60 % et la perte fiscale engendrée par la réforme Sapin dans un cas comme celui de cet exemple sera plus proche de 20 000 € que de 10 000 €.

Bilan de la réforme Sapin

Cette réforme se traduira chaque année pendant plusieurs décennies par une moins-value fiscale importante au niveau des droits de succession. L’année dont les revenus auront été soustraits à l’impôt, à savoir 2017, sera perdue pour les finances publiques à hauteur d’un pourcentage élevé, que seule l’administration fiscale est en mesure de calculer précisément, mais que j’estime à vue de nez aux environs de 70 %. L’IR ayant pour ordre de grandeur une soixantaine de milliards, ce sont donc une quarantaine qui manqueront à l’appel. Cela prendra la forme d’une diminution du rendement de l’impôt sur les successions de l’ordre d’un milliard par an pendant plusieurs décennies. Tel est le cadeau empoisonné que Michel Sapin se propose de faire à ses successeurs, et le cadeau bien réel qu’il destine aux héritiers, à commencer par les plus riches.

Certes, nos futurs grands argentiers pourront toujours récupérer cet argent en durcissant les droits de succession, mais ce n’est pas le prototype de la mesure fiscale populaire ! Même si sa mise en place se déroule bien au niveau technique, ce qui est loin d’être certain, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu constituera donc un caillou habilement glissé dans la chaussure des prochains gouvernements.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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