Le crépuscule du récit révolutionnaire – Extrait de livre

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Par François Cherix Publié le 14 mai 2021 à 8h00
Revolutionnaire Emmanuel Macron Gilets Jaunes
10%En septembre 2020, 10% des Français se sentaient Gilets jaunes.

Introduction de Crépuscule du récit révolutionnaire

Les rues, les parcs, les quais, les marchés, les terrasses se couvraient de promeneurs à la recherche du soleil. Partout, à Paris et dans les autres villes de France, les habitants se rassemblaient en grappes denses et joyeuses, comme aux plus beaux jours des vacances. Et les milliers de badauds semblaient d'autant plus satisfaits qu'ils narguaient les consignes données trois jours plus tôt par le président de la République. Alors qu'ils avaient été instamment priés de ne pas envahir l'espace public et de garder entre eux une distance d'au moins un mètre pour tenter de freiner le coronavirus, ils s'agglutinaient devant les étals, se pressaient dans les allées ou se serraient sur les pelouses.

Dans le même esprit, un jour plus tôt, l'inévitable manifestation des gilets jaunes avait connu un regain d'affluence, précisément parce que la situation sanitaire exigeait de ne pas manifester.

C'était le dimanche 15 mars 2020, et les comportements frondeurs fleurissaient, alors qu'une crise sanitaire d'une ampleur inédite aurait dû les exclure. Les mois suivants montrèrent que cette désobéissance goguenarde n'était pas qu'une éruption passagère. A chaque étape de la lutte contre la pandémie, les mesures du gouvernement furent l'objet de vives polémiques et de manifestations en tout genre.

Dès lors, mon hypothèse se voyait confirmée. Dans chaque société, les réactions aux événements obéissent à de vieilles histoires souterraines qui simplifient le monde et travaillent à le garder inchangé. Sous-estimées, ces fables identitaires inconscientes jouent un rôle considérable dans les émotions qui dominent l'opinion. Dans chaque pays, une représentation mythifiée et non dite de son fonctionnement agence les comportements, entretient des réflexes poli- tiques, formate les débats, conduit les commentateurs à éclairer l'actualité avec toujours les mêmes projecteurs.

En temps de crise, ces narrations se raidissent et dominent parfois la raison. Ailleurs, ce sont elles qui poussent des démocraties issues des Lumières à perdre le sens de la mesure, choisir le Brexit ou élire un populiste brutal. En Suisse, la fable célèbre une démocratie directe vertueuse, où les citoyens décident de tout en veillant à protéger leurs montagnes des pouvoirs extérieurs. Toxique à force d'être tabouisée, cette histoire menace le système qu'elle croit pérenniser.

En France, il existe un récit révolutionnaire latent qui exacerbe l'indignation au détriment du compromis. Rejouant sans cesse la séquence glorieuse du peuple renversant la monarchie, ce narratif postule un divorce irrémédiable entre un président insupportable à force de mauvaises décisions et un peuple accablé qui n'espère plus que son départ.

Dans cette imagerie, que l'élu soit de droite ou de gauche, que son action soit faible, forte, nuisible, pertinente, rapide ou lente n'est pas l'essentiel. Parce qu'il s'avère incapable d'instaurer ce bonheur national que son élection l'obligeait pourtant à produire, il doit être remplacé. Parce que les Français ont été floués, ils doivent se révolter.

De mon point de vue, la crise des gilets jaunes a magistralement illustré ce phénomène. Alors qu'elle amorçait une forme de renouveau, la France plonge dans un climat insurrectionnel. Des émeutiers saccagent les infrastructures et appellent au coup d'Etat. La violence est revendiquée comme un mal nécessaire. La nouvelle présidence, qui voulait émanciper le pays de ses vieilles féodalités, se retrouve dos au mur. Et ces vagues haineuses contre Emmanuel Macron sont accueillies par les commentateurs avec une gourmandise qui souligne le récit révolutionnaire.

Hélas, même l'irruption du coronavirus n'éliminera pas les montées aux barricades. Loin du rassemblement autour des autorités et des soignants qui prévaut dans les démocraties voisines, la France se divise, s'échauffe, s'écharpe. Face à la pandémie, le réflexe pavlovien de l'attaque des pouvoirs en place l'emporte. Sur toutes les décisions du gouvernement et sur tous les aspects de la crise sanitaire, les polémiques déchirent l'Hexagone.

Dès lors, une interrogation s'impose. Qui gagnera à la fin, la recherche patiente de solutions visant au bien commun ou l'indus- trie de l'indignation ? Quelle attitude l'emportera, la construction de compromis ou celle de barricades ? La France sortira-t-elle de la crise du coronavirus avec un récit collectif apaisé ou en proie à une flambée d'émotions révolutionnaires préparant sa chute dans le populisme ?

Sur la planète, les nuages sombres s'accumulent. Les pulsions identitaires courent les rues. Les populistes occupent les estrades. Les régimes autoritaires sont de retour. Le multilatéralisme, la coopération, l'ordre international, le respect du droit et des libertés individuelles sont menacés. La paralysie de la construction européenne et le retour de la loi du plus fort ne peuvent plus être exclus.

Dans ce contexte, le destin de la France est crucial. Si elle confirme le renouveau amorcé en 2017, elle peut contribuer à relancer la dynamique de l'Union européenne et compenser la fuite britannique par son engagement. Mais si demain les citoyens se laissent séduire par un discours simpliste, si, après le choc du Brexit, il faut encaisser celui d'une France pilotée par quelque extrémiste avec de surcroît une récession économique découlant d'une crise sanitaire, alors l'Union européenne se retrouvera au tapis et, de ce fait, toutes les démocraties libérales seront en danger.

En observant ces bouillonnements, j'ai su qu'il était temps d'écrire ce livre. Parce que les sociétés traversent de violentes tempêtes, la liberté et la prospérité dépendent plus que jamais du roman qui imprègne l'opinion. Il est donc urgent de comprendre les récits qui de conditionnent les esprits. J'avais les notes accumulées depuis des réso années sur la puissance des narrations dans le débat politique. J'avais mes observations durant la longue séquence des gilets jaunes. Et j'avais devant les yeux le film de la pandémie qui révélait combien les réflexes culturels conditionnent la perception des événements.

En fait, les représentations que les sociétés entretiennent d'elles- mêmes les emprisonnent dans des mécanismes qui sont précisément ceux dont elles devraient se libérer. Dans ce champ de tensions, je suis persuadé que l'actuel président de la République est à la fois un acteur et un révélateur de l'obsolescence croissante de certaines postures identitaires. Je pense même que c'est pour cela qu'il suscite soit un espoir sincère de renouveau, soit des rejets d'une violence inouïe.

Pour autant, mon objectif n'est pas de faire l'éloge d'Emmanuel Macron. Il n'en n'a pas besoin. Ma réflexion porte sur la nature du récit national et les raisons qui le voient entrer en ébullition main- tenant, alors qu'il est président. Mon intuition est que cette exacerbation montre un récit collectif épuisant, épuisé, à son apogée parce qu'amorçant son inéluctable crépuscule.

Quels sont ces vieux langages qui à la fois brillent et dépérissent ? Quelles sont les mutations qui les épuisent et les disqualifient ? Comment faire passer une société tribunicienne d'une culture d'in- tentions à une logique de résultats ? C'est cet entrelacs de questions et leurs impacts sur l'avenir français et européen que je souhaite examiner.

Ce livre est un essai. Il ne constitue pas une enquête journalistique et n'a aucune prétention scientifique. Il tente de cheminer dans une forêt de comportements humains parfois étranges, qui finissent tou- tefois par conditionner de manière précise les affaires publiques.

En fait, ma démarche repose sur une double conviction. Celle que l'Union européenne constitue la seule dynamique permettant aux Etats de relever les défis actuels de manière pertinente et démocratique.

Et celle que la France, source aujourd'hui de vives craintes, mais aussi de grands espoirs, peut devenir la meilleure actrice, visionnaire et résolue, de cette ambition.

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Ecrivain et acteur politique, François Cherix est conseiller en stratégie et communication. Résidant en Suisse et en France, il est depuis toujours un Européen engagé, ainsi qu’un adversaire combatif de tous les populismes.

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