TPMP : le CSA menace-t-il la liberté d’expression ?

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 15 juin 2017 à 18h19
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En interdisant la diffusion de publicités durant l’émission « Touche pas à mon poste » (TPMP), ainsi que 15 minutes avant et 15 minutes après son passage à l’antenne, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) prive la chaîne C8 de près de 6 millions d’euros de revenus publicitaires. Cette sanction sans précédent, qui vise clairement l’animateur Cyril Hanouna, relance le débat sur l’omnipotence du CSA et la liberté d’expression.

Les blagues de Cyril Hanouna ne font pas rire tout le monde. En tout cas, sûrement pas Olivier Schrameck, actuel président du CSA. Le 7 juin, l’autorité de régulation infligeait à C8 trois semaines d’interdiction de publicités pour l’émission TPMP. Le gendarme de l’audiovisuel français entend ainsi sanctionner deux «  incartades  » du trublion de la TNT, qu’il avait depuis plusieurs mois dans le viseur.

La première, qui remonte au 3 novembre 2016, est un sketch plus que douteux faisant croire à un décès accidentel et destiné à piéger le chroniqueur Matthieu Delormeau  ; la seconde, diffusée le 7 décembre dernier, n’est autre qu’un jeu entre l’animateur et ses chroniqueurs dans les loges, où Cyril Hanouna conduit Capucine Anav, les yeux fermés, à poser brièvement sa main sur son sexe.

Déplacées, de mauvais goût, voire même choquantes pour certains, ces séquences controversées ont suscité de nombreuses réactions dans les médias. Rien de nouveau pour l’animateur français, régulièrement visé par les attaques venant aussi bien des courants conservateurs que de ses propres confrères des autres chaînes. D’autant que les présumées «  victimes  » n’en ont pas tenu rigueur au présentateur, évoquant un moment «  fou  » pour le premier et un humour «  potache  » pour la seconde.

Une sanction «  disproportionnée et discriminatoire  »

Un avis qui n’est, de toute évidence, pas partagé par le CSA, qui a décidé de condamner C8 pour méconnaissance de «  son obligation de faire preuve de retenue dans la diffusion d’images susceptibles d’humilier les personnes  » et «  de sa responsabilité de lutter contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes et les violences faites aux femmes  », d’après son communiqué diffusé le 7 juin dernier.

En guise de sanction, l’autorité administrative indépendante a interdit pour trois semaines les publicités pendant l’émission, mais aussi 15 minutes avant et après sa diffusion. Un manque à gagner estimé à 6 millions d’euros pour la chaîne, qui a vivement protesté contre cette pénalité «  disproportionnée et discriminatoire  », relevant selon elle de l’«  acharnement  ».

Le CSA ne s’était pas montré aussi sévère envers un média depuis 25 ans et la condamnation de TF1 en 1992 : la chaîne avait alors été contrainte de verser 30 millions de francs (5 734 millions d’euros) pour non-respect des quotas de diffusion d’œuvres en français. À titre de comparaison, en 2010, le CSA a infligé une amende de 100 000 € à France 2 après l’annonce erronée de la mort d’un enfant au Journal de 13 heures…

«  Deux poids, deux mesures  »

Pour C8, qui a annoncé qu’elle «  prendrait toutes les mesures juridiques appropriées  », le préjudice financier est d’autant plus important qu’il dépasse le seuil fixé par la loi sur la liberté de communication du 30 septembre 1986. D’après le texte de référence, ironiquement cité par le CSA dans son communiqué, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder 3 % du chiffre d’affaires annuel, soit 3,9 millions d’euros dans le cas de la chaîne du Groupe Canal Plus.

Or, les 6 millions d’euros de pertes représentent un peu plus de 4,6 % des revenus de la chaîne, un montant bien au-delà de la limite légale... Mais plus que l’aspect financier, c’est surtout le rôle du CSA qui pose question, son omnipotence s’apparentant parfois à de la censure.

En février 2015, 14 directions de radios et de télévisions françaises avaient publié une lettre ouverte au CSA, intitulée «  L’information menacée  », pour protester contre les critiques dont elles faisaient l’objet de la part de l’autorité de régulation. Après les attentats de Charlie Hebdo, 36 mises en demeure et avertissements avaient été prononcés à l’encontre des principales chaînes d’information pour leur traitement des événements : «  le CSA nous reproche notamment d’avoir potentiellement “porté atteinte à l’ordre public” ou pris le risque “d’alimenter les tensions au sein de la population”. Nous le contestons. [...] Dans quelle autre grande démocratie reproche-t-on aux médias audiovisuels de rendre compte des faits en temps réel  ?  », avaient alors répliqué les rédactions.

En 2014, c’est une association de jeunes trisomiques qui a décidé d’attaquer le CSA après la censure d’un spot publicitaire, dans lequel des personnes atteintes de trisomie 21 témoignaient de leur bonheur de vivre malgré leur handicap. Estimant que le clip allait contre «  l’intérêt général  » et portait à la «  controverse  » sur l’avortement, les membres du CSA ont vu leur décision qualifiée de «  maladroite  » par le Conseil d’État, qui a souligné qu’«  il n’y avait pas plus d’intérêt général à encourager ou à interrompre une grossesse  ».

Bien que contredits de toutes parts, y compris au plus haut niveau de pouvoir, les jugements du CSA continuent néanmoins de faire autorité sur le paysage audiovisuel français. Au point de mettre en péril la liberté de la presse et la liberté d’expression comme le souligne Thierry Moreau, ancien chroniqueur de TPMP.

«  La sanction [contre C8] est très, très sévère. Il y a un tel écart entre les préconisations du rapporteur du Conseil d’État et la décision du CSA  !, s’exclame l’ancien de la bande à Hanouna. Ses membres sont sortis de leur rôle. On a l’impression qu’ils sont dans le règlement de comptes, qu’ils se sont lancés dans une croisade. Pour quelles raisons  ? Parce qu’ils n’ont pas apprécié que Cyril Hanouna se moque du CSA  ? Ça voudrait dire qu’on ne peut plus se moquer des institutions  ? On pourrait se moquer des hommes politiques, mais pas du CSA  ?  ». Et l’ex-complice d’Hanouna de rappeler une autre séquence passée quasiment inaperçue à l’antenne : «  Quand Enora [...] met sa main sur mon sexe sans me demander mon avis, le CSA ne dit rien, constate-t-il. Ce qui est drôle pour un garçon ne l’est plus du tout quand ça concerne une fille. Pour moi, il y a deux poids, deux mesures.  »

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Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin. Il est également intervieweur économique sur RTL dans RTL Grand Soir (en semaine, 22h17) depuis 2016.Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time. En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007.Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an.En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier. Il a également été éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018. Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont notamment "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ainsi que "le Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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