Les institutions de santé publique de l’Union européenne s’inquiètent de la progression constante de la résistance aux antibiotiques. Ce phénomène, aux conséquences sanitaires, économiques et politiques majeures, figure désormais parmi les priorités stratégiques à l’échelle communautaire.
Santé : l’Europe s’inquiète de l’antibiorésistance montante

medicLe 5 mars 2025, un rapport conjoint de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a réaffirmé la gravité du phénomène de l’antibiorésistance en Europe. En révélant des niveaux de résistance toujours préoccupants chez plusieurs agents pathogènes courants, les institutions européennes rappellent que cette problématique de santé publique dépasse largement le cadre médical. Elle mobilise aujourd’hui des ressources politiques importantes, tant au niveau des États membres que des institutions communautaires, en lien avec une stratégie globale définie dans le cadre de l’approche « One Health ».
L’antibiorésistance : un défi transversal pour les États européens
L’antibiorésistance désigne la capacité de certaines bactéries à ne plus répondre aux traitements antibiotiques habituellement efficaces. Ce phénomène compromet la prise en charge de nombreuses infections et constitue un risque direct pour les systèmes de soins. En Europe, l’ECDC estime que plus de 35 000 décès annuels sont aujourd’hui liés à des infections causées par des bactéries résistantes.
La récente analyse des données de surveillance souligne notamment une persistance élevée de la résistance à certains antibiotiques critiques, en particulier dans la volaille, chez des souches telles que Campylobacter et Salmonella. Cette situation met en évidence la nécessité d’une approche intersectorielle, intégrant les dimensions agricoles, sanitaires et environnementales.
Du point de vue politique, la gestion de l’antibiorésistance nécessite une coordination renforcée entre les différents niveaux de gouvernance : local, national et européen. Chaque État membre reste compétent en matière de santé, mais l’Union européenne agit en soutien à travers le financement de projets, la production de données comparables et la diffusion de recommandations stratégiques.
L’Union européenne mobilisée à travers l’approche « One Health »
Depuis plusieurs années, la Commission européenne soutient l’approche « One Health », qui repose sur la reconnaissance de l’interdépendance entre la santé humaine, la santé animale et les écosystèmes. Dans ce cadre, plusieurs actions ont été entreprises. La collecte et l’analyse des données sont assurées par des réseaux européens spécialisés tels que EARS-Net pour la résistance bactérienne, ESAC-Net pour la consommation d’antibiotiques, ou encore HAI-Net pour les infections associées aux soins. En parallèle, la majorité des États membres ont adopté des plans d’action nationaux alignés sur les objectifs communautaires.
Des campagnes de sensibilisation complètent ce dispositif, à l’image de la Journée européenne d’information sur les antibiotiques (EAAD), qui vise à informer les professionnels de santé et le grand public sur les bonnes pratiques d’utilisation des antimicrobiens. Si des améliorations ont été constatées dans certains pays, notamment une réduction de la résistance à certaines classes d’antibiotiques, les écarts entre États membres demeurent significatifs.
Enjeux géopolitiques et dimension internationale de la lutte contre l’antibiorésistance
L’antibiorésistance s’inscrit dans une dynamique mondiale. L’Union européenne agit en étroite coopération avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres agences des Nations unies, telles que la FAO ou l’OIE, afin de promouvoir une gouvernance sanitaire cohérente à l’échelle internationale. Ce travail commun vise notamment à établir des standards, renforcer les capacités nationales de surveillance et harmoniser les réponses.
Les experts du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies soulignent que la propagation des bactéries résistantes peut être facilitée par les flux commerciaux, les déplacements internationaux et des pratiques agricoles inégales. C’est pourquoi des États tiers, comme ceux des Balkans occidentaux, font l’objet de missions d’appui technique menées par l’Union européenne pour renforcer leur dispositif de prévention.
Cette politique est appuyée par des instruments financiers communautaires, en particulier le programme EU4Health, qui soutient le développement de systèmes de santé plus robustes dans les États membres et les pays partenaires.
Pistes de renforcement et perspectives politiques
Les institutions européennes identifient plusieurs axes prioritaires pour renforcer la lutte contre l’antibiorésistance dans les années à venir. L’un des objectifs consiste à harmoniser la collecte de données et à améliorer la comparabilité des systèmes de surveillance entre les États membres, afin de disposer d’une vision claire et partagée des tendances épidémiologiques. En parallèle, un renforcement des politiques de bon usage des antibiotiques est jugé indispensable, aussi bien en médecine humaine que vétérinaire, afin de limiter l’apparition de nouvelles résistances.
Un troisième volet concerne l’investissement en recherche et innovation. Il s’agit notamment de soutenir le développement de traitements alternatifs comme la phagothérapie, ainsi que de diagnostics plus rapides permettant d’ajuster les prescriptions. Enfin, les autorités communautaires insistent sur la nécessité d’approfondir la coopération intergouvernementale. Une gouvernance fragmentée pourrait freiner l’efficacité des politiques de prévention, alors que le phénomène de résistance s’inscrit dans une logique transfrontalière.
La Commission européenne prévoit d’actualiser, d’ici fin 2025, ses recommandations sur la prévention des infections dans les établissements de santé. Cette révision s’inscrit dans le cadre du Plan européen de lutte contre le cancer et vise à consolider la qualité et la sécurité des soins.