Alors que les tensions explosent entre chauffeurs locaux et VTC franciliens, une plainte sans précédent vise Uber France. Que font l’État et les collectivités pour faire respecter ses propres règles ?
Face à Uber, les chauffeurs savoyards seuls contre la loi du plus fort

Le 23 avril 2025, des chauffeurs de taxi et de VTC savoyards ont déposé une plainte pénale contre Uber France pour concurrence déloyale et violation des règles du transport de personnes. Cette action judiciaire, déposée devant le procureur de la République d’Albertville, dépasse le cadre corporatiste : elle interroge le rôle des institutions, le respect du droit, et la volonté réelle de l’État et des collectivités d’encadrer les plateformes numériques.
Les taxis contre Uber : une plainte inédite qui secoue la Savoie
Le cœur de l'accusation ? La présence massive de chauffeurs VTC franciliens, qui, profitant de la haute saison touristique, stationnent en Savoie sans respecter l'obligation légale de retour à la base après chaque course. Ces pratiques, assimilées à de la maraude interdite, conduisent à une perte drastique d'activité pour les transporteurs locaux, exacerbant précarité et tensions.
La situation a dégénéré physiquement : le 11 février 2025, plusieurs véhicules Uber ont été incendiés à Moûtiers et Salins-Fontaine, dans un contexte d’exaspération extrême. L’auteur présumé, Sébastien Dumarais, président de la chambre syndicale des artisans taxis de Savoie, a reconnu les faits devant la justice.
Des élus interpellés, des institutions silencieuses
Derrière la plainte, il y a des acteurs locaux abandonnés, livrés à une précarité imposée par des chauffeurs Uber venus d’Île-de-France qui opèrent en Savoie hors de tout cadre légal. « Aujourd’hui, on a un marché qui est totalement dérégulé », alerte Sébastien Dumarais, président de la chambre syndicale des artisans taxis.
Pourtant, du côté des élus, c’est le silence radio. À ce jour, aucun parlementaire savoyard — ni député, ni sénateur — n’a publiquement pris position sur ce conflit, malgré l’ampleur des enjeux économiques et sociaux. Les professionnels du secteur dénoncent une absence de relais politique, alors même que la plainte vise également à « sensibiliser les acteurs locaux à l’urgence de la situation », comme l’explique l’avocat Me Jonathan Bellaiche.
Le préfet de la Savoie saisit le sujet
Seul représentant de l’État à s’être exprimé publiquement, le préfet de la Savoie, François Ravier, a publié le 14 février 2025 un communiqué officiel dans lequel il rappelle fermement les obligations légales des chauffeurs VTC : réservation obligatoire, interdiction de maraude, retour à la base après chaque course.
Il y annonce aussi le renforcement des contrôles, avec 31 opérations ciblées depuis le début de la saison hivernale et 70 infractions constatées, dont des absences de carte professionnelle, des défauts d’assurance et de marquage réglementaire. Des procédures judiciaires ont été ouvertes, mais aucune mesure politique d’ampleur n’a suivi.
Suffisant ? Certainement pas pour les professionnels du terrain, qui dénoncent une tolérance implicite de la part des institutions vis-à-vis des pratiques des plateformes numériques, en contradiction flagrante avec la loi en vigueur.
Une affaire politique, pas simplement judiciaire
Les griefs formulés par l’Association des Transporteurs Savoyards de Personnes, partie civile dans la plainte, vont bien au-delà du seul différend commercial. Ce qu’ils dénoncent, c’est un abandon des territoires périphériques par les autorités centrales, une gestion à géométrie variable du droit et une politique publique aveugle aux effets collatéraux de l’uberisation.
Le silence d’Uber France, qui n’a pas répondu aux sollicitations des médias, est jugé comme une preuve de mépris supplémentaire. « Ce sont des familles détruites et plus largement toute une région », martèle Me Bellaiche. Cette situation pose une question simple mais importante : quand les règles sont claires, pourquoi ne sont-elles pas appliquées ?
Responsabilités locales, fractures nationales
Les acteurs savoyards le répètent : le droit existe, les infractions sont connues, les contrôles sont possibles. Ce qu’il manque, ce sont des décisions politiques claires. À l’heure où les plateformes numériques cherchent à se normaliser dans le débat public, cette affaire fait figure de test grandeur nature pour la puissance publique.
Laisser perdurer ces pratiques revient à valider par l’inaction une économie parallèle, au détriment des professions régulées, des collectivités locales et des usagers eux-mêmes. À défaut d’une réaction rapide, la Savoie pourrait bien devenir le laboratoire de l’abandon institutionnel, où des chauffeurs de VTC locaux, pourtant en règle, sont poussés à l’extrême pendant que les multinationales contournent les lois sans conséquences.