À l’occasion du colloque annuel de l’Union française de l’électricité (UFE) à Paris, mardi 10 décembre 2024, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et Luc Rémont, président-directeur général d’EDF, ont fustigé le « mille-feuille » réglementaire français et européen, en particulier concernant les investissements dans les énergies renouvelables et les infrastructures énergétiques.
Investissement : au tour des patrons d’EDF et TotalEnergies de s’en prendre au mille-feuille français
Même son de cloche pour Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et Luc Rémont, PDG d’EDF. Pour ces derniers, la France, avec son mille-feuille administratif, fonce droit dans le mur.
« Investir en France est un enfer »
De la paperasse, toujours plus de paperasse. Lors du congrès annuel de l'Union française de l'électricité (UFE), Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et Luc Rémont, directeur général d'EDF, ont dénoncé les lourdeurs et les délais administratifs systémiques en France. Sans langue de bois, Patrick Pouyanné n'a pas hésité à mettre les pieds dans le plat devant son auditoire en fustigeant la réglementation française pour le développement des énergies renouvelables : « C'est l'enfer d'investir en France. [...] Aux États-Unis, nous construisons 2 GW en un an. Ici, nous peinons à atteindre 300 MW, malgré des équipes dévouées. » Un constat plus qu'amer qui illustre l'ampleur des obstacles posés par les procédures françaises, et ce, comme le rappelle-t-il, alors même qu'une loi qui était censée accélérer le développement des énergies renouvelables a été proclamée le 10 mars 2023, mais qui a finalement « tout ralenti ».
Un discours auquel souscrit entièrement son homologue d'EDF Luc Rémont, celui-ci ajoutant aux déclarations du PDG de TotalEnergies : « C'est vrai, c'est l'enfer d'investir en France pour des raisons réglementaires et ce n'est pas juste l'enfer pour faire du renouvelable, c'est l'enfer pour un industriel qui veut se raccorder, pour raccorder un data-center (centre de données, ndlr) au réseau électrique, ce sont des délais administratifs qui sont juste incommensurables avec ce qu'on vit ailleurs dans le monde. Le premier frein à la décarbonation aujourd'hui, ce sont les procédures. »
Un plaidoyer pour arrêter ce mille-feuille administratif
Contre-productif. Face à une bureaucratie étouffante et à une rentabilité en chute libre, Patrick Pouyanné envisage de délocaliser une partie des investissements de TotalEnergies vers des pays administrativement plus accueillant, telle que l’Allemagne : « Si les rendements restent faibles, nous devrons arbitrer. Il est impossible de maintenir un tel niveau d'efforts pour si peu de résultats », déplore-t-il, pointant du doigt par la même occasion « une absence de volonté collective » pour simplifier les processus.
S'appuyant sur les déclarations de Patrick Martin, dirigeant du MEDEF, les PDG d'EDF et de TotalEnergies tirent la sonnette d'alarme : le taux d’utilisation des capacités industrielles en France a plongé à 75 %. Une réduction qui a été aggravée par une diminution de 3 % des investissements au second semestre de 2024, et qui témoigne, selon leurs avertissements, d'une baisse sérieuse de l’attractivité économique de la France. Avec des délais incomparablement longs et des réglementations inadaptées, les dirigeants appellent à une transformation structurelle pour éviter le déclin industriel et écologique du pays.
Un cercle vicieux pour l'industrie européenne
Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), également invité au colloque de l'Union française de l'électricité (UFE), a lui aussi, averti son auditoire en rappelant que : « le prix du gaz naturel en Europe est cinq fois plus élevé que celui des États-Unis et le prix de l'électricité en Europe est trois fois plus élevé qu'en Chine. » Fatih Birol n'a pas manqué de souligner les erreurs stratégiques historiques de l’Europe, notamment sa dépendance excessive au gaz russe, un désintérêt pour le développement de l'énergie nucléaire et son manque d’investissement dans les énergies propres. « La Chine fabrique aujourd'hui 80 % des panneaux solaires, il y a 20 ans, la France était leader grâce à une politique de subventions », vilipende-t-il.
Dans le domaine nucléaire, un des exemples du désintérêt est le fait que l'Europe ne dispose d'aucune usine capable de recycler le combustible. Elle utilise l'usine russe de Tomsk, la seule usine au monde capable de recycler et ré-enrichir l’uranium des réacteurs nucléaires français. Un problème majeur, alors que la guerre en Ukraine a tendu les relations avec Moscou, qui pourrait être exacerbé par une extension des sanctions contre la Russie et ses entreprises. La commission européenne projette en effet de mettre l’armateur et l’assureur du bateau sur la liste des entreprises bannies de commerce avec l’Europe, alors même qu'au Niger Orano semble avoir perdu le contrôle des opérations de ses mines.
Un retard que la France, et plus généralement l'Europe, ne peut rattraper en l'état, notamment du fait de son mille-feuille administratif, qui les empêche de rivaliser avec les leaders mondiaux, soit la Chine et les États-Unis. « L'industrie européenne, ou plus précisément l'industrie manufacturière, entre dans une période décisive qui pourrait avoir des conséquences importantes pour l'économie européenne, le poids de l'Europe dans les affaires étrangères et la sécurité de l'Europe (...) « L'Europe doit se pencher d'urgence sur ces questions et élaborer un nouveau plan directeur pour l'industrie», conclu-t-il.