PMA : quand la bioéthique encadre l’accès aux origines

Depuis le 31 mars 2025, les personnes conçues par PMA avec don peuvent, à leur majorité, demander à connaître l’identité de leur donneur. Une avancée saluée comme un tournant sociétal, mais qui s’inscrit dans une réforme bioéthique bien plus vaste, initiée en 2021, dont les implications politiques restent encore peu explorées.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 1 avril 2025 10h39
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Cette mesure découle directement de la loi de bioéthique du 2 août 2021, qui a profondément réformé le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA) en France. Elle s’inscrit dans un changement de paradigme juridique et culturel, amorcé avec l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.

Un droit d’accès aux origines désormais effectif

C’est une disposition qui n’a pas suscité, à elle seule, de forte controverse lors du vote de la loi bioéthique du 2 août 2021. Et pourtant, elle modifie de manière significative l’équilibre entre vie privée, don volontaire et transparence dans le champ de la procréation médicalement assistée. Depuis le 31 mars 2025, toute personne conçue par assistance médicale à la procréation (AMP) via un don de gamètes peut, à condition d’avoir atteint la majorité, demander à connaître des informations sur son donneur, y compris son identité si celle-ci a été consenti au moment du don.

Cette évolution est l’aboutissement d’une réforme engagée en plusieurs temps, qui a nécessité une phase transitoire de trois ans pour permettre l’écoulement des stocks de gamètes anonymes. Elle répond à une revendication ancienne portée par certaines associations d’enfants issus de dons, mais marque aussi un tournant dans la façon dont la loi encadre la notion de filiation en France. À travers cette disposition, c’est moins un simple droit individuel qui est reconnu qu’un changement profond dans la manière d’envisager l’origine génétique comme élément structurant de l’identité.

Une réforme en réalité bien plus large : la PMA sans motif médical

Ce droit à l’accès aux origines ne peut être dissocié de la réforme plus vaste que constitue l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, votée en 2021 et désormais pleinement en vigueur. Depuis cette date, les femmes célibataires et les couples de femmes peuvent recourir en France à une AMP avec don, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une infertilité pathologique. Ce critère, pourtant historiquement central dans le dispositif législatif, a été supprimé. Il ne s’agit donc plus d’une prise en charge conditionnée à un besoin médical, mais d’un choix reproductif libre, reconnu et pris en charge par l’Assurance maladie.

Dans les débats parlementaires, ce glissement a été présenté comme une mesure de justice, visant à limiter les parcours à l’étranger et à répondre à une demande croissante. Toutefois, le Conseil d’État, dans une étude publiée en juillet 2018, avait mis en garde contre l’usage de la notion de « droit à l’enfant » comme justification d’une telle extension. Il recommandait de centrer l’attention législative sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », et de veiller à la cohérence de la politique publique, notamment en matière de filiation.

Il faut rappeler que le même Conseil d’État jugeait que cette ouverture ne pouvait être fondée ni sur le principe d’égalité, ni sur des considérations de convenance. Cette réserve, exprimée dans un cadre institutionnel, n’a pourtant pas trouvé de traduction concrète dans le texte adopté.

CAPADD : un dispositif encore embryonnaire

Sur le terrain, l’application du nouveau droit à l’accès aux origines repose sur un mécanisme encore peu rôdé. La Commission d’accès aux données des donneurs (CAPADD), organe chargé de centraliser les demandes, de vérifier les consentements, et de transmettre les informations, n’a pour l’heure traité qu’une fraction des requêtes. Entre septembre 2022 et décembre 2024, 701 demandes ont été déposées, pour seulement 73 cas où des données ont pu être communiquées.

Les raisons de cette faible proportion sont multiples. Les anciens donneurs n’ayant pas donné leur accord rétrospectif, les demandes antérieures à la réforme restent, dans les faits, lettre morte.

Cette phase de montée en charge met en lumière les limites concrètes de la réforme. Le droit d’accès existe juridiquement, mais son effectivité dépend de nombreuses variables : existence du consentement, conservation des données, capacité administrative. Sur le terrain, la promesse d’un droit opposable se heurte à une réalité fragmentée.

Vers une recomposition implicite de la filiation ?

Plus encore que la transparence du don, c’est l’architecture même du droit de la famille qui semble évoluer. La loi prévoit que le donneur n’a aucun droit, ni aucun devoir, à l’égard de l’enfant conçu. Il ne saurait être considéré comme un parent légal. Toutefois, en reconnaissant à l’enfant un droit personnel à l’identité de son géniteur, la réforme introduit une distinction nouvelle entre la parentalité sociale, fondée sur le projet parental, et l’origine biologique, désormais reconnue dans sa dimension individuelle.

Ce double régime risque à terme de générer des tensions. D’un côté, la filiation reste strictement encadrée par le droit civil. De l’autre, l’accès aux origines biologiques est élevé au rang de droit autonome. Cette dualité pourrait être source de confusion, notamment pour les enfants devenus majeurs qui, en accédant à des données personnelles, pourraient se confronter à une disjonction entre leur filiation légale et leur origine génétique.

Une réforme bioéthique de la PMA sous tension sociale maîtrisée

Présentée comme une avancée consensuelle, la réforme bioéthique de 2021, dont la levée partielle de l’anonymat des donneurs est l’un des volets, s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation des repères familiaux. Elle répond à une demande sociétale portée par des associations, tout en conservant une forme de prudence juridique. Mais cette prudence n’empêche pas la progression d’un modèle fondé sur une autonomie individuelle renforcée, y compris dans le domaine de la reproduction.

L’État, en validant la prise en charge de ces actes par la solidarité nationale, a implicitement entériné cette évolution comme norme. Cette reconnaissance institutionnelle d’une parentalité dissociée de toute indication médicale pose désormais la question des contours futurs de la politique bioéthique. À mesure que le cadre légal s’élargit, la question de la gestation pour autrui (GPA), encore officiellement exclue du débat, pourrait revenir dans l’arène politique, portée par les mêmes logiques d’égalité revendiquées pour la PMA.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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