Un destin hors norme s’est refermé, à la lisière du tumulte et de la terre. L’ancien chef d’État uruguayen José “Pepe” Mujica s’est éteint, mardi 13 mai 2025, à l’âge de 89 ans. L’information a été confirmée par l’actuel président Yamandu Orsi dans un message solennel : « C’est avec une profonde douleur que nous annonçons que notre camarade ‘Pepe’ Mujica est décédé. Président, militant, référent et guide. Tu vas beaucoup nous manquer, cher vieux ».
José Mujica est mort : l’Uruguay perd son ancien président rebelle

À Montevideo, on le surnommait “le président le plus pauvre du monde”. Un sobriquet devenu hommage. Mujica ne se contentait pas de prêcher l’austérité : il la vivait. Une maison de tôle de 45 m², une vieille Coccinelle, un potager, une vie rustique loin des ors du pouvoir. Et pourtant, il a incarné l’Uruguay comme peu d’autres.
Mujica : une figure de la gauche, façonnée dans la clandestinité
Avant le pouvoir, la lutte. Et avant la lutte, la clandestinité. Dans les années 1960, Mujica est l’un des fondateurs du Mouvement de libération nationale : Tupamaros. Une guérilla urbaine d’extrême-gauche active jusqu’en 1972. Blessé par balles, emprisonné pendant toute la dictature militaire (1973-1985), torturé et isolé, il n’a jamais rompu. Libéré en 1985, il plonge dans la politique "légale", fonde le Mouvement de participation populaire en 1989 et devient l’un des piliers du Frente Amplio, coalition de gauche arrivée au pouvoir en 2005.
Il accède à la présidence de l'Uruguay en 2010, et marque d’emblée une rupture de style. Pas de cravate, parfois même des sandales aux cérémonies officielles. Mujica ne joue pas un rôle : il incarne ses convictions. Sous sa présidence, l’Uruguay légalise le cannabis en 2013, une première mondiale, l’avortement et le mariage homosexuel. Une série de réformes progressistes qui font date, malgré des critiques sur la situation économique du pays.
Un chantre de la frugalité devenu icône internationale
Pepe Mujica n’a jamais caché sa défiance envers la société de consommation. À Rio, en 2012, lors de la conférence des Nations unies sur le développement durable, il prononce un discours choc contre le “dieu marché”. À l’ONU, en 2013, il dénonce le pillage des ressources naturelles et appelle à remettre l’humain au centre. Sa pensée, entre stoïcisme revendiqué et sagesse paysanne, séduit au-delà de l’Amérique latine. Il reverse 90 % de son salaire présidentiel à un programme de logement social, refuse la résidence présidentielle, accueille les journalistes dans sa ferme.
Ce rejet des apparences, couplé à une sincérité rare en politique, le propulse au rang de référence morale. En Uruguay comme ailleurs. Le président colombien Gustavo Petro salue un « grand révolutionnaire » sur X,. Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol, évoque un homme qui « a cru, milité et vécu pour un monde meilleur ». Le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, parle d’une « leçon de vie » et d’une « mort choisie » sur son compte X.
Adieu Pepe Mujica, merci pour tout le courage que tu nous as donné, merci pour l'exemple que tu as donné, merci pour la leçon de vie qu'est ta mort choisie.
Adieu Pepe. Tu marches avec la lumière de notre combat. pic.twitter.com/ZlWhyuOmAK
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) May 13, 2025
Une sortie en cohérence, au rythme de ses choix
En mai 2024, un cancer de l’œsophage lui est diagnostiqué. Début 2025, il annonce que la maladie s’est propagée, et que son corps ne peut plus supporter les traitements. Il ne maquille rien. « Mon cycle est terminé. Clairement, je suis en train de mourir. Le guerrier a droit à son repos ». À 89 ans, il fait campagne pour Yamandu Orsi, le nouveau président. Puis se retire. Pour de bon.
Il a demandé à être enterré dans son jardin, sous un arbre qu’il avait planté, aux côtés de sa chienne Manuela. Sa compagne Lucia Topolansky, rencontrée « dans la lutte clandestine », restera son ultime pilier. « Le plus grand succès de ma vie », disait-il d’elle. Sénatrice et ex-vice-présidente de l’Uruguay, elle partageait ses combats. Et son silence, désormais.