Un rapport parlementaire transpartisan, co-piloté par Marie-Noëlle Battistel (Parti socialiste) et Philippe Bolo (Les Démocrates), a été rendu public le 6 mai à l’Assemblée nationale. Son objectif : remodeler le cadre juridique des barrages hydroélectriques français, un sujet qui concentre à lui seul souveraineté énergétique, sécurité publique et bras de fer avec la Commission européenne. À l’heure où la France gère le deuxième parc hydraulique européen, représentant 17 % de sa capacité de production d’électricité, l’issue de cette bataille n’a rien d’anecdotique.
Les députés veulent soustraire les barrages français à la concurrence

Les députés contre l’idée d’ouvrir les concessions hydroélectriques à la concurrence
Depuis vingt ans, Bruxelles somme la France d’ouvrir ses concessions hydroélectriques à la concurrence. En cause, une entorse manifeste à la directive « concessions » de 2014. Pourtant, à Paris, la résistance s’organise. « Nous sommes totalement unanimes pour dire que la mise en concurrence n'est pas la solution et la France ne choisira pas cette option », a affirmé sans détour Marie-Noëlle Battistel, rapporteure du rapport, lors de son intervention devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale et dans des propos rapportés par Les Echos.
Cette opposition ne sort pas de nulle part. Sur les 400 concessions exploitées, 61 sont en infraction, dépassant l’échéance sans renouvellement, ce qui bloque leur modernisation. Mais faut-il pour autant céder aux injonctions de la Commission ? Pour les députés, la réponse est clairement non. Ils préconisent une alternative, remplacer les concessions par un régime d’autorisation, c’est-à-dire des contrats à long terme entre l’État et les exploitants. Une solution imparfaite, reconnaît même la rapporteure, mais selon ses mots, « c'est la solution la plus robuste ».
Une énergie hydraulique sous tension : entre propriété, sécurité et souveraineté
Le barrage, infrastructure technique par excellence, devient ici objet politique. Le passage au régime d’autorisation pose une question explosive : celle de la propriété. Transfert ou pas ? Privatisation ou pas ? Pour les parlementaires, rien n’est tranché. Et pour cause : transférer la propriété des ouvrages, comme le souhaiterait EDF, soulève des inquiétudes majeures. Le rapport évoque des « questions pour la sécurité des populations », « la gestion de la ressource en eau » et « l'exécution du service public de l’électricité ».
On ne parle plus ici d’optimisation, mais de souveraineté. La proposition d’une quasi-régie, filiale d’EDF, a été balayée d’un revers de main. Trop coûteuse, trop bureaucratique, trop rejetée. À la place, les députés préfèrent un modèle plus européen, plus souple, qui a déjà fait ses preuves dans le renouvelable ou le nucléaire sur le continent.
Pas d’Arenh hydro, mais un « barrage virtuel » : la revanche des ingénieurs
La voie médiane ne s’arrête pas là. Pour répondre aux exigences de Bruxelles sans céder la forteresse EDF, le rapport suggère d’assortir les autorisations de contreparties commerciales. Une partie de l’électricité hydraulique pourrait être mise à disposition des concurrents, mais sans reproduire le fiasco de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique).
« Les travers de l’Arenh […] ne doivent pas être reproduits », martèle le rapport. Parmi ces « travers » : un prix figé, des risques absents pour les bénéficiaires, et une asymétrie criante entre fournisseurs et producteur historique. À la place, les parlementaires défendent un modèle plus agile, fondé sur des « livraisons à la carte » ou des « droits de tirage » en fonction des besoins, que le rapport nomme « barrage virtuel ». Un concept taillé pour les ingénieurs… et les stratèges.
Objectif 2040 : sortir du blocage et faire bondir la production hydraulique
Si cette réforme aboutit, les perspectives sont colossales. Le nouveau PDG d’EDF, Bernard Fontana, a affirmé devant les députés que le groupe pourrait augmenter de « 20 % » sa puissance hydraulique actuelle, estimée à 20 gigawatts. Cela suppose des investissements majeurs, notamment dans les STEP, les stations de transfert d’énergie par pompage, clé de voûte du stockage électrique.
Mais rien de tout cela ne se fera sans un ultime duel réglementaire. La France entend bien plaider, auprès de Bruxelles et avec l’appui d’autres États membres, pour une révision de la directive « concessions ». L’objectif ? Exempter l’hydroélectricité de la mise en concurrence. Fermer les précontentieux ouverts depuis 2015 et 2019. Et restaurer un peu de cohérence dans un paysage énergétique fragmenté.