Face à l’amplification des dérèglements climatiques, la chaîne d’approvisionnement du sang émerge comme un secteur critique menacé, révélateur des limites actuelles des politiques de résilience sanitaire et de préparation des infrastructures.
Changement climatique : faut-il repenser l’approvisionnement en sang ?

Le 16 avril 2025, une étude publiée dans The Lancet Planetary Health a pointé un risque jusqu’ici largement ignoré dans le champ des politiques publiques de santé : l’impact du changement climatique sur la disponibilité du sang et sur l’intégrité des chaînes transfusionnelles. Ce constat, fondé sur une analyse multidisciplinaire, met en lumière un enjeu stratégique pour les systèmes de santé : assurer la continuité de l’approvisionnement en produits sanguins face à des perturbations environnementales et épidémiologiques croissantes.
Une vulnérabilité structurelle des systèmes de santé
Les conclusions de l’étude menée par l’Université de la Sunshine Coast et l’Australian Red Cross Lifeblood confirment que les chaînes d’approvisionnement en sang, traditionnellement conçues pour fonctionner dans des contextes stables, sont exposées à des risques multiples : catastrophes naturelles, instabilités logistiques, augmentation des besoins en transfusions, déclin des donneurs disponibles.
Les chercheurs alertent sur la convergence de trois phénomènes : d’une part, la fréquence croissante des événements climatiques extrêmes, qui interrompent les collectes ; d’autre part, l’émergence ou la résurgence de maladies vectorielles affectant la sécurité des dons ; enfin, la fragilisation de la population donneuse, soumise à des contraintes sanitaires, économiques et psychologiques accrues.
L’exemple australien de février dernier est emblématique : la fermeture temporaire de 22 centres de collecte à la suite du passage d’un cyclone a provoqué l’annulation de plusieurs milliers de rendez-vous, illustrant la sensibilité du dispositif à des aléas ponctuels.
Don du sang : une fonction civique sous pression
En arrière-plan, l’étude souligne une tendance préoccupante : la part de la population active dans le don de sang reste marginale, avec des taux de participation inférieurs à 3 %. Or, cette faible mobilisation devient critique lorsqu’elle se combine à une restriction des critères d’éligibilité en raison de l’épidémiologie évolutive. L’apparition ou l’expansion géographique de pathologies comme la dengue, le virus du Nil occidental ou le paludisme, toutes potentiellement transmissibles par transfusion, impose des contrôles accrus et réduit le vivier de donneurs.
À cela s’ajoutent des contraintes sociétales : déplacements forcés dus à la montée du niveau des mers, pressions migratoires, vulnérabilités sanitaires exacerbées, autant de dynamiques qui complexifient la gestion territoriale et l’adéquation entre offre et demande de sang, en particulier dans les zones à forte diversité génétique.
Des politiques de santé à adapter au climat
Les auteurs appellent à une révision des politiques de santé publique en matière de don du sang, en intégrant la question climatique dans les plans nationaux de sécurité transfusionnelle. Ils recommandent notamment d’élargir la portée des outils de veille sanitaire, d’introduire des dispositifs de collecte décentralisés et mobiles, et de moderniser les chaînes logistiques à l’aide de technologies comme le transport par drone ou les banques de sang mobiles.
L’objectif affiché est de garantir une capacité de réponse rapide et territorialisée, compatible avec les réalités du terrain lors de situations d’urgence climatique. Il s’agit également de réévaluer les protocoles de conservation, de traitement et de distribution des produits sanguins dans une logique de résilience.
Le rôle des États et des organisations internationales
Ce sujet dépasse les seules considérations sanitaires : il interpelle directement les États sur leur responsabilité dans l’anticipation des risques systémiques liés au climat. L’Organisation mondiale de la santé rappelle dans ses publications récentes que le réchauffement climatique constitue un multiplicateur de vulnérabilités, en ce qu’il affecte à la fois les infrastructures physiques, les déterminants sociaux de la santé et la cohésion des systèmes de soin.
La projection de 250 000 décès supplémentaires par an d’ici 2050, liés à des pathologies climato-sensibles, illustre l’ampleur du défi. Dans ce contexte, le renforcement de la coopération internationale, le partage des bonnes pratiques et la mise en œuvre de financements spécifiques à l’adaptation sanitaire au climat apparaissent comme des priorités.
L’enjeu ne se limite plus à la disponibilité du sang, mais engage plus largement les fondements de la souveraineté sanitaire, de la solidarité sociale et de la capacité des États à protéger leurs populations dans un environnement globalement déstabilisé.