Al Qu’aïda : pourquoi Charlie ?

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Par Xavier Guilhou Publié le 4 février 2015 à 5h00
Charlie Hebdo Attentat Terrorisme France

Lorsque l’on fait de la lutte anti-terroriste, la première règle c’est de se mettre dans la peau de son adversaire et d’essayer d’imaginer ses modes d’action, ce qui fait sens pour lui et surtout ses objectifs. Que pouvons-nous retirer des premiers enseignements des attaques de cette première semaine de janvier ?

Pas d’improvisation !

Les cibles sont bien choisies et le timing est parfait pour obtenir un effet de levier médiatique majeur et piéger ainsi politiquement et stratégiquement nos institutions et la population. Une opération terroriste ne se contente pas de générer uniquement de la terreur, elle escompte avant tout des effets sur les opinions et sur les décideurs avec des buts précis. Le commando n’a pas improvisé ses actions, tout a été minutieusement préparé, repéré, dimensionné et scénarisé jusqu’au sacrifice suprême face aux forces de l’ordre. Le choix du mercredi pour Charlie Hebdo, jour de bouclage dans les rédactions où tout le monde est mobilisé, à 11h juste pour le "prime time", c’est le meilleur moment ! L’assassinat de la policière à Montrouge pour engager la seconde attaque la veille de la prière du vendredi, ce n’est pas anodin ! La prise d’otage dans la superette casher, la veille du shabbat, c’est parfait ! Le crescendo permet d’aboutir à l’effet recherché tant en termes de sidération collective, de messages subliminaux pour le monde médiatico-politique, qu’en termes d’enfermement communautariste et religieux pour piéger les analyses immédiates.

Pas de surprise !

Il fallait s’attendre, après les résultats de nos dernières opérations spéciales sur le Sahel, comme pour les anglais actuellement sur la zone irakienne, à des représailles significatives compte tenu du niveau de dégâts générés dans les structures de commandement des réseaux Al Qu’aïda et de Daesh sur le terrain par nos forces. Ces organisations ne peuvent pas perdre des dispositifs significatifs sans un jour réagir et sortir de leurs tanières. C’est ce qui vient de se passer avec Al Qu’aïda Yémen, AQPA pour les initiés , qui constitue l’antichambre de la conduite des opérations terroristes tant sur le Sahel qu’au Moyen-Orient. Ne soyons pas naïfs, nous ne pouvons pas faire d’omelette sans casser des œufs. Lorsque le président Hollande a affirmé le 2 février 2013, lors de son premier voyage au Mali pour voir les troupes françaises, qu’il était en train de vivre : "le plus beau jour de sa vie", avait-il anticipé cette dérivée meurtrière inévitable? D’autant que les cibles étaient désignées pour Charlie Hebdo, qui faisait l’objet d’une fatwa, et récurrentes pour les établissements juifs depuis la rue des rosiers jusqu’à Mohammed Merah. Il faut ajouter à cet état des menaces, les nombreuses alertes transmises par nos amis orientaux, notamment libanais, qui sont depuis très longtemps aux avant postes des confrontations avec ces réseaux mortifères.

Le tout dans un agenda stratégique !

Pour les commanditaires opérationnels d’Al Qu’aïda au Yémen, cette semaine est très bien choisie pour mettre sous stress sécuritaire la France. Nous sommes à la veille de grands rendez-vous européens dont les conséquences sont considérables pour la France avec des élections à Athènes qui peuvent déboucher sur un défaut, voire une sortie de l’euro de la Grèce, sans oublier les négociations délicates au Kazakhstan avec Poutine et Merkel sur l’Ukraine. En toile de fond, nous sommes aussi dans un contexte où les grands financiers de ces réseaux organisent un effondrement des prix du baril afin de sanctionner aussi bien Obama que Poutine sur leurs stratégies respectives de redéploiement du centre de gravité de la sécurité énergétique mondiale sur l’Eurasie aux dépends de la péninsule arabique. Dans ce contexte, la France est la cible idéale en tant que maillon faible de l’Europe tant sur les plans financiers, économiques que sociétaux.

En utilisant à fond tous les pièges médiatiques !

L’omniprésence des chaines en continu dans le traitement des crises et la pression des réseaux sociaux sur le champ de l’émotion et de la compassion enferment l’opinion dans une instantanéité perverse où le commentaire est devenu la règle, où la prise de recul est impossible et où les expertises deviennent hâtives. Il a fallu tout de même 48h pour relever que les intéressés n’étaient pas de simples détraqués mais des combattants d’Al Qu’aïda Yémen, alors que ces derniers l’avaient clamé haut et fort lors de leur attaque sur Charlie Hebdo... Par ailleurs, le voyeurisme étant substantifique à ce type d’évènement, l’interview des terroristes par BFM, qui constitue indéniablement un succès pour fabriquer de l’audience pour la chaîne, est devenue instantanément une arme de propagande redoutable au profit d’Al Qu’aïda, qui n’a plus besoin de revendiquer l’opération puisque la diffusion du message est assurée par nos médias en mode Larsen au niveau mondial. Jamais l’organisation n’aurait pu imaginer un tel effet de levier médiatique, l’interview en direct des terroristes se révélant être mille fois plus efficace qu’une dépêche AFP ou une déclaration postée sur un site web.

Pour arriver au résultat escompté à notre dépend !

Compte tenu de cette résonnance émotionnelle et médiatique, la plupart des chroniqueurs, qui ne sont plus dans l’analyse lucide et raisonnée, se laissent emporter par la catharsis ambiante et ne contiennent plus leurs sentiments sur le plan sémantique. Au lieu de prendre du recul et de conserver leur calme, ils parlent de guerre, voire de 3ème guerre mondiale pour certains… Al Qu’aïda a dès lors gagné, puisque c’est là l’objectif recherché. Ces réseaux veulent nous enfermer dans cette rhétorique guerrière, ce qui leur permet par ailleurs d’avoir la même légitimité qu’un Etat, ce qu’ils ne sont pas ! C’est entre autre l’objectif affiché de Daesh en termes de dénomination et de posture afin d’installer son califat sur la zone occupée d’Irak et de Syrie et obtenir ainsi à terme de la communauté internationale un redécoupage des frontières... De plus, en utilisant cette rhétorique, qui a un sens très précis en termes de droit international, nous tombons immédiatement dans le piège des appellations guerres de religion ou de civilisation qui font le jeu de tous les réseaux radicaux, quels qu’ils soient, et qui se nourrissent de « la guerre contre le terrorisme » depuis 2001… avec les piètres résultats que nous connaissons…

Et refermer le piège sur nos démocraties afin de les désintégrer de l’intérieur !

La pulsion collective d’exprimer son rejet, son dégoût, ses angoisses et la tentation politicienne de récupérer un tel évènement sont évidentes et inévitables (surtout quand il y a en arrière plan un enjeu électoral pour récupérer le vote des étrangers en vue d’élections locales d’ores et déjà perdues). Nous sommes dans l’agitation et non dans la résilience. De nouveau, Al Qu’aïda doit être satisfait des effets politiques obtenus avec ces côtés un peu indécents de victoire éphémère et de déclarations ostentatoires qui ne relèvent que de jeux tactiques court-termistes. Cela ne remet pas en cause la nécessité pour des centaines de milliers de manifestants, qui se retrouvent l’espace de quelques heures, de défendre la liberté d’expression et de montrer leur détermination contre le fanatisme. Maintenant, il faut aussi admettre que la réciprocité puisse exister en termes d’effets collatéraux, notamment au sein des communautés sémitiques qui ne partagent pas tout à fait l’universalité de notre vision, pour ne pas dire parfois confusion, de ce qui pour les uns constitue la liberté et pour d’autres un nouvel ordre libertaire. Dans l’immédiat, et contrairement à l’euphorie médiatique qui règne sur les écrans plats, Al Qu’aïda vient de remporter cette première manche. Nous venons de lui redonner un statut mondial et quasi étatique en termes de reconnaissance alors qu’il s’agit d’une bande de criminels et de maffieux qui usent et abusent de la terreur partout où leur signature s’est imposée.

Nous sommes quelque part entre le 11 mars 2004 à Madrid et le 7 juillet 2005 à Londres. Les pathologies collectives et sécuritaires sont similaires avec toutefois une saturation médiatique beaucoup plus forte et moins maîtrisée compte tenu des cibles choisies, notamment Charlie Hebdo qui constitue dans l’inconscient français une sorte de sanctuaire intouchable (d’où pour certains le parallèle avec le 11 septembre 2001). Pour autant, quel que soit l’impact macabre obtenu par ces réseaux apocalyptiques et barbares, la lutte contre le terrorisme ce n’est pas la guerre. Si tel est le cas, il faut alors être explicite, et non hypocrite, non pas vis-à-vis des seuls commanditaires, qui seront sûrement traités à un moment ou un autre avec des drones, mais vis-à-vis de leurs actionnaires que tout le monde connait bien puisqu’ils garantissent nos dettes souveraines et achètent nos armements avec leurs rentes pétrolières et gazières. Si nous ne pouvons pas aller jusqu’à ce niveau de realpolitik pour des raisons d’Etat, qu’il faudra bien un jour aborder, alors traitons la terreur portées par ces réseaux en renforçant nos moyens sur les plans renseignements, sécuritaires et surtout judiciaires. Mettons en œuvre des réponses avec, si possible, une juste proportion dans les modes d’action et en termes de libertés publiques afin de ne pas tomber dans un délire collectif qui nous mènerait tout droit à une désintégration institutionnelle et sociétale (but ultime recherché par ces réseaux).

Ce contexte nous montre une fois de plus qu’il faut sortir de la naïveté, qu’il faut éviter de tomber dans les pièges des simplifications abusives, que les expertises sont vite mises en mode échec et que l’hystérie guerrière, surtout après avoir désarmé nos forces et dégradé la fonction judiciaire…, n’est pas une solution viable et durable. Les questions de fond qui se posent déjà depuis longtemps sur nos modèles de société et de gouvernance sont d’un autre ordre. Ces réseaux, qui ne sont que du ressort du grand banditisme et de la grande criminalité internationale, et qu’il faut traiter comme tels, ne font que surfer sur nos faiblesses et lâchetés. Nous aurons d’autres alertes et d’autres opérations sûrement plus dures. Soyons en premier lieu plus robustes au niveau de nos organisations sécuritaires, beaucoup plus résilients au niveau de la population et surtout moins infantiles sur les plans médiatiques et politiques, univers qui constituent de plus en plus des maillons faibles parfaitement exploités par ces dispositifs entrainés et déterminés. N’oublions pas ce mot de Bossuet : "Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets induits dont ils chérissent les causes". La vraie question maintenant est de savoir qui et où sera le prochain Charlie ?

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Xavier Guilhou propose aux exécutifs des Etats, des grandes administrations, des grands réseaux vitaux et des entreprises de s'appuyer sur son expérience opérationnelle et sur le fruit de ses réflexions dans trois domaines d'expertise : la prévention des risques, le pilotage des crises et l'aide à la décision stratégique. Il est le fondateur du cabinet XAG Conseil

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