Ecologie contre « écologisme » : le cas emblématique du prospectus

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Par Daniel Rolland Publié le 20 octobre 2020 à 10h07
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Les prospectus publicitaires sont dans le collimateur depuis longtemps. Mais les menaces contre cet outil du quotidien se sont précisées avec l’interdiction annoncée de la distribution des prospectus dans les boîtes aux lettres en 2021. Une mesure qui ne fait pourtant pas l’unanimité, tant d’un point de vue social qu’environnemental. Voilà pourquoi.

« Interdire le dépôt de toute publicité dans les boîtes à lettres, à partir de janvier 2021 ». Voici l’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat dont les résultats ont été rendus publics en juin dernier. Sur le volet « publicité », les 150 Français chargés de formuler des propositions ont été radicaux. Plusieurs idées sont bonnes – comme l’interdiction des publicités pour des produits responsables de fortes émissions de gaz à effet de serre –, certaines idées semblent anecdotiques – comme l’interdiction des avions publicitaires au-dessus des plages –, d’autres idées ont en revanche des conséquences qui n’ont pas été correctement estimées, sur le plan environnemental et sur le plan du pouvoir d’achat des Français. Les « bonnes idées » cachent souvent des vices cachés. Et l’interdiction de la distribution des prospectus publicitaires est un cas d’école de l’écologie dogmatique, « hors-sol » selon l’expression à la mode, un « écologisme » forcené, au détriment de l’écologie réelle.

Ce projet a été initialement repris, dès juillet, par le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, du groupe parlementaire Ecologie, Démocratie, Solidarité (EDS). Parmi les propositions, la fin des écrans vidéo publicitaires dans l’espace public et l’imposition d’un autocollant « Oui Pub » pour les gens désireux de recevoir des prospectus dans leur boîte aux lettres. Une proposition de loi dans « l’air du temps », électoralement avantageuse, mais qui n’aura pourtant même été discutée. « Too much » ? Probablement sachant que le gouvernement a par ailleurs voté au printemps dernier une directive punissant de 1500 euros d’amende les commerçants distribuant ces prospectus, dans les boîtes aux lettres ou sur les parebrises des voitures. Une amende pour le moins dissuasive.

Attention à la fracture Paris vs. Province

A Paris, le prospectus envahit plus facilement les rues que les boites aux lettres, ces dernières étant à dessein peu accessibles. De fait, le prospectus n’est perçu qu’à travers son impact visuel, cette pollution visible de l’espace public, sans considération pour son éventuelle utilité. Mais à défaut de séduire les Parisiens, le prospectus plaît aux Français : d’après l’étude CSA sur le parcours du courrier publicitaire (2015), les prospectus sont même plébiscités par 73% des Français. Motif principal : ils y trouvent des promotions qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. Bons d’achat, ristournes, trois produits pour le prix de deux… autant d’arguments publicitaires qui ne ciblent pas forcément les CSP+ de Paris intramuros mais plutôt ceux qui optimisent le bouclage des fins de mois. Et rappelons qu’en 2019, la moitié des salariés Français touchait moins de 2 238 euros par mois. Du coup, les prospectus, ça intéresse du monde.

De l’autre côté de la chaîne, la distribution de prospectus est également l’un des canaux de communication les plus prisés par les annonceurs, bien plus directs et fiables qu’une publication « boostée » sur Facebook et bien moins coûteux que d’autres supports, imprimés ou audiovisuels. Car leur impact est chiffrable : toujours selon l’étude CSA, « 89% des Français se sont déjà déplacés en magasin suite à la réception d’un imprimé publicitaire ». Une autre étude va d’ailleurs dans le même sens. D’après le baromètre des médias BALmétrie, les prospectus publicitaires conservent « une audience de haut niveau », 92% des Français lisent régulièrement au moins un courrier publicitaire : chaque semaine, « 66,9% des Français ont eu au moins un contact avec un imprimé publicitaire. […] Les imprimés publicitaires sont plus largement lus en début de semaine, dès réception, afin notamment de profiter des promotions débutant en milieu de semaine dans la grande distribution. »

Sachant qu’il existe sur le territoire hexagonal 26 millions de boîtes aux lettres, une évidence s’impose : interdire les prospectus publicitaires atteindra autant les ménages que les commerces de proximité. Une fausse bonne idée donc mise en avant par une Convention citoyenne dont les bonnes intentions – qui ne sont pas en cause – vont se heurter à la réalité socio-économique française.

Décrier l’imprimerie, une contre-vérité environnementale

Plus embarrassant, l’argument écologique à la base de cette volonté d’interdiction des prospectus risque de produire les effets inverses de ceux recherchés. Croire à la disparition pure et simple de la publicité est utopique (est-ce d’ailleurs souhaitable, au titre de l’information du consommateur ?), celle-ci va simplement migrer vers d’autres supports, essentiellement digitaux. Or, les supports imprimés sont bien moins polluants que leurs successeurs désignés sur support digitaux, pour ne prendre que cet exemple.

Les imprimeries des années 50 sentant l’encre et la graisse des rotatives font partie de l’histoire ancienne. En France, les entreprises du secteur ont même fait un bond qualitatif tout à fait remarquable depuis le début des années 2000. Tant dans les processus de production qu’au niveau des matières premières utilisées. Il suffit pour s’en convaincre de faire une recherche Google : tous les prestataires de service mettent en avant leur « écoresponsabilité ». A Saint-Michel-sur-Orge dans l’Essonne, l’imprimerie Lefevre met par exemple en avant ses labels (FSC C127790, PEFC 10-31-2174, Imprim'Vert, etc) et ses chiffres : « L’industrie papetière française utilise pour 60% des papiers et des cartons récupérés qui sont recyclés et pour 40% des sous-produits de la forêt tels que les produits issus des activités de sciage et les coupes d’éclaircie. L’industrie papetière française et européenne joue donc un rôle actif dans l’entretien et la gestion des forêts. Pour chaque arbre abattu dans les forêts bien gérées, 3-4 arbres sont replantés. Ces jeunes arbres absorbent plus de carbone que les vieilles forêts. » Résultat pour les imprimeries : -30% de consommation d’énergie et -80% de rejet d’eau par rapport à l’an 2000.

Par effet miroir, l’impact environnemental de l’alternative digitale fait froid dans le dos : l’empreinte carbone d’un e-mail publicitaire est 15 fois supérieure à celle d’un courrier imprimé, celle d’une affiche digitale 10 fois supérieure à celle d’une affiche imprimée. En 2017, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a ainsi publié un rapport coup de poing, intitulé La face cachée du numérique. On y apprend par exemple que l’envoie d’un e-mail avec une pièce jointe équivaut à laisser une ampoule allumée durant 24 heures, ou que les mails professionnels d’une entreprise de 100 salariés représentent sur une année l’équivalent de 13 vols aller-retour Paris/New York. Rien que ça.

Aujourd’hui, l’empreinte carbone des prospectus déposés dans nos boîtes aux lettres est donc devenue dérisoire. A des années-lumière en tout cas de l’appétit gargantuesque de l’industrie du digital – entre la fabrication des téléphones et ordinateurs, et la consommation de bande passante – qui pousse sans cesse au clic, et donc à la surconsommation. Car c’est là sa raison d’être : sans clic sur les publicités, toutes les plateformes numériques – réseaux sociaux en tête – mettraient la clé sous la porte.

C’est ce qui risque malheureusement d’arriver à toute une partie de la filière graphique française, avec les menaces contre la publicité et les supports imprimés. Des menaces indirectes sur le pouvoir d’achat d’une majorité des Français et des menaces directes sur l’emploi. Si tout le monde s’accorde sur l’objectif à atteindre, les moyens pour y parvenir méritent d’être plus soigneusement étudiés, pour éviter les contre-sens environnementaux. Le cas du prospectus est emblématique de ces contre-sens possibles ; une interdiction brutale ne ferait que favoriser un secteur digital dont les impacts environnementaux mériteraient d’être scrutée de beaucoup plus près. Mais ça c’est une autre histoire.

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