Avec l’investiture de Donald Trump le 20 janvier, le mouvement HelloQuitteX a médiatisé et encouragé l’abandon du réseau social X, anciennement Twitter jusqu’à son rachat par Elon Musk.
Pourquoi je n’ai pas quitté X (ex Twitter) ?

La suppression de toute modération par celui-ci a fait craindre la propagation d’informations fausses qui menaceraient l’Europe par crainte d’une volonté américaine de l’affaiblir. L’Europe semble naïvement découvrir le sens des propos de François Mitterrand rapportés dans « Le dernier Mitterrand » «La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort.» Ce qui pose la question : faut-il quitter X pour s’en protéger ?
Avec son préalable : l’expression doit-elle être libre ?
Le grand écart franco-américain
La France est descendue dans la rue voilà 10 ans pour défendre la liberté d’expression, quand bien même celle-ci heurterait les sensibilités religieuses par son caractère blasphématoire.
Mais à l’opposé de l’attachement absolutiste des Américains à cette liberté, garantie par leur Constitution, la protection des personnes, mais aussi de la conduite des politiques de crise a amené la loi française à en limiter significativement l’expression.
Le cadre général
L’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination est punie par la loi. Si cette provocation est publique, c’est un délit qui expose à 10 ans d’emprisonnement. Cette discrimination peut concerner l'origine, l'orientation sexuelle, mais aussi la religion ou les caractères physiques, ainsi que l’exprime la grossophobie. Le 28 mars 2024, la Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, et visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire, était déposée, afin que soit inséré dans l’article 225‑1 du code pénal, après le mot : « physique, » « notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux ». Cette volonté d’insertion dans le code pénal, en plus du code du travail confirme que les propos incitant à cette discrimination sont également visés. Qu’on se le dise.
C’est ainsi que la loi de 1881 sur la liberté de la presse a subi de nombreuses restrictions, notamment par le décret-loi du 21 avril 1939 qui a introduit cette discrimination portant sur la religion ou l’origine, celle de 1er juillet 1972 portant le délit nouveau de provocation à la haine, puis la loi du 13 juillet 1990 créant le délit de « négationnisme » et la loi du 27 janvier 2017 qui a renforcé les précédentes.
En temps de guerre
L’interdiction de la diffusion en Europe des medias russes Sputnik et Russia today (RT France) au lendemain de l’invasion de l’Ukraine révèle le dilemme de laisser, ou non, l’ennemi argumenter en temps de guerre. Car l’Union européenne est en guerre. Dans de tels cas, la loi martiale peut être amenée à remplacer le droit commun, et la propagande guerrière à protéger le moral des troupes exposé au travail de sape de l’ennemi. L’Europe a tranché, les bureaux parisiens de Sputnik sont en liquidation judiciaire et RT France a été débouté de son recours contre la décision de l’UE, comme l’indique l’INA.
En temps de crise sanitaire
Lors de la crise sanitaire du Covid, la Commission européenne a mis en place un « Plan d’action contre la désinformation » pour la raison que « Les informations fausses ou trompeuses concernant le coronavirus peuvent nuire à la cohésion de la société, mais surtout, elles constituent une menace pour la santé publique ». En effet, l’OTAN avait notamment publié des rapports dénonçant la campagne de désinformation menée par la Chine et la Russie dans le but de « diviser les Alliés, de saper la confiance dans les institutions démocratiques et de présenter les régimes autoritaires comme étant plus efficaces lorsqu'il s'agit de faire face à une crise sanitaire. » Il ne faudrait d’ailleurs pas imaginer que la France ou les États-Unis seraient incapables d’en avoir autant à leur service pour hâter le renversement d’un régime ou influer sur une élection.
En temps de crise climatique
Dans la proposition de loi Media & écologie présentée le 13 /11/2024, l’article 20-1-B demande aux chaines nationales de traiter « les causes des crises environnementales, leurs effets et les solutions pouvant être mises en œuvre » et à l’ARCOM de préciser « les conditions de définition de ces objectifs conformément à l’état des connaissances scientifiques sur les enjeux environnementaux ; en particulier l’existence du dérèglement climatique et son origine anthropique. »
C’est ainsi que l’ARCOM a mis en garde Sud Radio pour avoir invité un climato sceptique sans présence de contradicteur .En 2017déjà, des voix s’élevaient pour que soit inscrit dans la loi le délit de « negationisme climatique ».
De crise économique
L’interprétation des données économiques est au centre d’une guerre de l’information. Le banquier d’affaires Matthieux Pigasse, propriétaire notamment du Monde, viendrait de déclarer, selon Le Point « je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre l’extrême droite ». De même, le milliardaire Georges Soros financerait largement des groupes politiques engagés dans le combat progressiste, et notamment le média d’extrême gauche « indépendants » StreetPress, selon Boulevard Voltaire.
Les media d’information, qui « font l’opinion » en France, sont largement détenus par des grands groupes industriels ou financiers ainsi que par l’État. Dans la mise à jour de son panorama de décembre 2024, le Monde diplomatique souligne notamment les récents achats de Canal+, Europe1 et Le Journal du dimanche par le milliardaire Vincent Bolloré. La méfiance envers ce pouvoir de la finance et de l’État sur l’information suscite l’élaboration de thèses complotistes, c'est-à-dire l’explication d’événements par une action planifiée et dissimulée d’une ou plusieurs personnes dans le but de nuire à une ou plusieurs personnes. L’Observatoire du conspirationnisme en dresse un inventaire, lui-même forcément partial, et dont il serait simpliste d’interdire l’expression. Car c’est au contraire l’absence de ces informations alternatives dans les principaux médias qui nourrissent l’idée de complot.
La censure woke
L’International fact checking nerwork (IFCN) a été créée en 2015 et regroupe plus de 170 organisations dans le monde entier dont l’EFCSN en Europe, et dont le rôle est de contrôler la véracité des informations et leur danger éventuel. Selon Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Panthéon-Assas, « lorsque des informations sont signalées comme peu fiables par les utilisateurs, elles sont envoyées à un binôme de journalistes qui les vérifie et leur attribue une note de fiabilité. En fonction de celle-ci, le contenu aura plus ou moins de visibilité. » Du moins lorsque la plateforme coopère avec les fact checkers, ou « vérificateurs de faits ». Et Mark Zuckerberg, qui vient de décider de s’en séparer, pour laisser l’absolue liberté d’expression, dénonce désormais les pressions qu’il a subies de la part de l’administration Biden, pour faire retirer des contenus dérangeants, notamment sur le Covid. Et les conservateur dénoncent un dispositif de « censure woke », détenu par des journalistes traditionnellement de gauche et progressistes, amoindrissant la portée de tout ce qui aurait été de droite, conservateur. On sait que Disney a pratiqué cette « autocensure woke » en plaçant à l’écart ses représentations à caractères raciste pouvant offenser, tels que Le livre de la jungle, Peter Pan, La belle et le clochard et Dumbo, ou même Les aristochats en raison des yeux bridés du chat siamois.
En France, l’association QuotaClimat est notamment à l’origine du projet de loi cité plus haut, et annoncé dans le Figaro par les termes «La liberté de la presse s’arrête là où commence la lutte contre le dérèglement climatique». L’association se présente en tant que vérificateur de faits sur le réseau X qu’elle annonce désormais quitter le 20 janvier à l’occasion de l’investiture de Trump.
La réglementation européenne
Depuis le 17 février 2024, le Digital service act (DSA) réglemente les principales plateformes d’information et moteurs de recherche en ligne, et dont le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne est salutaire. La transparence sur leurs algorithmes qui privilégient certaines informations et en occultent d’autres est requise. Si ce second point est également fondamental, il exige d’être clairement exposé au public, car il privilégie le discours officiel et on aimerait savoir lequel, et pourquoi. Du moins si on reste attaché à la liberté d’expression.
Le lapsus de Clara Chappaz, ministre en charge de ce dossier numérique est révélateur quand elle explique l’importance de supprimer les « fausses opinions » de l’espace médiatique avant de se reprendre pour parler de « fausses informations ».
La liberté américaine
Aux États-Unis, la liberté d’expression est garantie par le 1er amendement de la Constitution qui interdit au Congrès de restreindre le droit de la presse ou des individus à s'exprimer librement. Et même les discours de haine du Ku Klux Klan ont été protégés par cette interprétation absolutiste de la liberté par l’Arrêt Brandenburg qui a considéré que même le discours incitant à un comportement illégal est protégé en vertu du Premier Amendement.
Cet arrêt ferait encore jurisprudence aujourd’hui, selon l’excellente analyse publiée par The Conversation qui n’en retient comme limite que « l’obscénité, la diffamation, l’incitation à l’émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d’auteur ou les brevets ».
Censure et complot
Il est tentant pour tout pouvoir d’opposer un consensus scientifique aux critiques. Et les contestations du GIEC ou de l’OMS font un tort considérable aux politiques climatiques et sanitaires. Mais l’interdiction ou l’occultation des thèses alternatives nourrit le complotisme. Fabrice Epelboin explique dans une longue vidéo comment ces théories viendraient d’une difficulté à comprendre l’explosion phénoménale des technologies (I.A, vaccin ARN,…) qui bouleversent l’avenir de chacun qui se raccroche alors à des explications simplistes qui permettent de donner sens au monde, faute de la culture scientifique nécessaire. Il stigmatise la faillite collective de la carence d’explication de ceux qui savaient, ou étaient supposés savoir.
- Epelboin montre à quel point l’électrochoc qu’aura représenté la révélation des pressions sur les réseaux sociaux pour étouffer les propositions alternatives, émanant pourtant de médecins respectables, à la gestion du Covid préconisée aux US par Fauci, aura marqué la mentalité américaine viscéralement attachée à la liberté d’expression. La France n’aura d’ailleurs pas été épargnée par les maladresses et communications pitoyables, sur les décisions d’un Conseil de défense confronté à un réel casse-tête, qui auront indubitablement alimenté les complots.
« Pour votre santé, bougez plus »
Les communications publicitaires sont encadrées par la loi qui impose des mentions obligatoires chaque fois que la santé ou l’environnement sont concernés. Une telle campagne de pédagogie semble nécessaire à la consommation des contenus médiatiques et devrait marteler des messages tels que « ce qui est imprimé n’est pas vérité », « n’oubliez jamais de recouper les informations », « avez-vous recherché la source de ces chiffres ? », « sachez que des robots étrangers cherchent à vous tromper » ou « quand on ne sait pas tout on ne sait rien ». L’éducation aux médias est l’enjeu de ce siècle, car elle représente la seule voie difficile entre la vérité d’État et le complot. Entre la Pravda et le chaos.
Pourquoi rester sur X
L’algorithme de X s’est perfectionné depuis son origine jusqu’à 2025, pour optimiser l’expérience de ses utilisateurs. Hubspot en retrace l’historique. Après son rachat de Twitter, E. Musk avait décidé de jouer la transparence en en publiant le code source en mars 2023 sur GitHub. Mais le blog officiel de Twitter fait état de plusieurs modifications depuis, dont celle de juillet 2023, dont le code source n’aurait pas été publié. Des « notes de la communauté » apparaissent désormais sous les tweets factuellement contestables. Quelle que soit la motivation de ceux qui s’en chargent, ces notes participent à l’expression d’un avis plus construit, à l’instar de Wikipedia qui exprime le compromis entre ses libres rédacteurs.
En attendant la communication de la mise à jour de l’algorithme qui conditionne la visibilité de chaque publication sur X, faut-il abandonner le principal lieu de débat mondial qu’il est devenu ? Son droit de réponse et de contre argumentation à une liberté totale de publication semble plus efficace dans la manifestation de la vérité que le repli dans un entre soi contrôlé par des « vérificateurs de faits » qui ne cachent même plus leur militantisme. En tout état de cause on ne pourra pas éviter que le compte d’Elon Musk soit plus visible avec ses 213 millions d’abonnés que celui d’un obscur chercheur qui consacre son temps à chercher.
La véritable question est de savoir si le peuple doit pouvoir s’exprimer directement sur des réseaux interactifs, ou si l’information doit être détenue exclusivement par les propriétaires d’organes de presse. L’actualité de X rappelle que la foule est l’ennemi du peuple, car elle est facile à manipuler. L’enjeu est de l’éduquer, pas de la censurer. Ni de la reléguer dans des réseaux alternatifs chargés de trier les vraies informations des « fausses opinions ».
C’est pourquoi je suis resté sur X @rioujeanpierre.
Épilogue
Vendredi 6 décembre, la Cour constitutionnelle roumaine a annulé le résultat du 1er tour des élections présidentielles, remporté par le candidat pro-russe Calin Georgescu, en raison d’une importante opération d’influence étrangère sur le réseau social Tik Tok. La Cour européenne des droits de l’Homme a rejeté le recours porté par C. Georgescu. La Russie est suspectée d’en avoir été à l’origine.
En annulant ainsi des votes au prétexte que leurs auteurs auraient été mal informés, cette décision de justice donne la mesure de la difficulté de légiférer sur la liberté d’expression et de l’urgence d’entreprendre une campagne ambitieuse d’éducation à la lecture des médias. Car cet exercice relève d’un apprentissage, tel que celui de la lecture ou du solfège. Et il serait simpliste d’imaginer que les campagnes d’influence visant à tromper proviendraient forcément de l’étranger.