Dans l’intimité du bureau de François Hollande

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Par Jean-Pierre Bédéï Modifié le 4 mars 2015 à 9h58
Hollande Ayrault Relations Elysee

Ce livre raconte des tractations qui se sont nouées derrière les remaniements opérés par les 7 présidents « sur proposition » des 20 Premiers ministres qu’a comptés la Ve depuis 1958 : les postes refusés, les ralliements, les négociations, les quiproquos liées à l’annonce de la composition des équipes gouvernementales.

"Dans le secret du bureau de François Hollande, à l’abri des regards, le président de la République et le Premier ministre offrent la douloureuse image du couple exécutif face à l’épreuve du remaniement. C’est l’heure du divorce. Hollande l’a décidé, Ayrault le pressent. "La politique, c’est la morale des circonstances", observait cyniquement Joseph Fouché, le ministre de la Police de Napoléon. Et les circonstances ne plaident pas en faveur d’Ayrault. Le président ne laisse guère d’illusions à son Premier ministre : "Je ne pensais pas que la défaite serait aussi lourde. Même une grande ville comme Toulouse et un fief comme Limoges sont tombés. On n’a pas le choix, il faut tout changer…"

"Tout changer" : Ayrault a compris. Il sera la première victime du remaniement. Mais, face à Hollande, il ne rend pas les armes. "J’ai argumenté en lui expliquant le contenu de la note que je lui avais transmise quelques semaines auparavant, raconte?t?il. Elle formulait trois grandes propositions : un gouvernement resserré autour de grands pôles avec des secrétaires d’État, sa réunion en séminaire pour qu’il s’imprègne du travail sur “la France dans dix ans” du Commissariat à la prospective que dirige Jean Pisani-Ferry, l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur un paquet complet comprenant le pacte de responsabilité, des économies ciblées, une nouvelle stratégie pour l’administration territoriale, la réforme fiscale et, enfin, la transition énergétique dont j’avais préparé le contenu lors de réunions avec Cécile Duflot. Tout cela permettait à la majorité de se consolider. Le président m’a écouté. Nous en avons débattu. La tonalité de la conversation était courtoise, mais j’ai défendu mes positions."

Moments pesants de tension extrême mais contenue, comme il se doit sous les ors de l’Élysée. Ayrault tente de faire vaciller Hollande en faisant allusion au départ des écologistes du gouvernement : "Si tu prends Valls, ton risque c’est d’avoir une majorité réduite. Moi, je peux préserver la majorité." François Hollande confirme : "Le raisonnement de Jean-Marc Ayrault se tenait parfaitement ; il insistait surtout sur le maintien du périmètre de la majorité. Mais si je remaniais en le gardant et que quelques semaines plus tard les européennes étaient une réplique des municipales justifiant un changement de Premier ministre, la situation aurait été encore plus difficile. Il valait mieux tout changer immédiatement."

La rupture du pacte

"La sentence tombe. L’Élysée téléphone au directeur de cabinet du ministre de l’Économie pour l’informer que, dans quelques minutes, sera publié un communiqué annonçant la démission du gouvernement et la reconduction de Manuel Valls à son poste de Premier ministre. En réunion avec ses collaborateurs, Montebourg marque un moment de stupéfaction, puis regarde ses conseillers : "Les gars, faites vos cartons." Il comprend qu’il est la cause de ce remaniement et qu’il en sera la victime. Une heure plus tôt, il ne s’imaginait pas quitter le gouvernement lorsqu’il déclarait sur Europe 1 : "Je ne crois pas qu’on puisse réprimander un ministre qui apporte une contribution à la discussion collégiale en y associant les Français. Il ne me semble pas qu’on se sépare de ministres pour la simple raison qu’ils portent des propositions dans un débat justifié." Eh bien, si ! Trop sûr de lui, Montebourg. Et pour cause ! Il s’est cru protégé par le pacte qu’il avait conclu avec Hamon et Valls cinq mois auparavant et qui prévoyait, selon lui, qu’il ne serait pas "phagocyté" par le couple exécutif. "J’avais un deal avec Valls, ce n’est pas moi qui l’ai trahi, c’est lui !", s’indigne?t?il à l’annonce du remaniement. "Ma nomination à Matignon s’est faite sur un autre type de gouvernance reposant sur l’autorité, la cohérence, le bon fonctionnement du gouvernement, et sur une réorientation de la politique au niveau européen, rétorque Valls. Il n’a jamais été question d’un deal dans lequel Montebourg demanderait une autre politique économique, s’en prendrait au président de la République, voudrait l’écarter au profit de celui de nous deux qui serait le mieux placé, comme l’a dit Arnaud dans certaines confidences." Montebourg- Valls-Hamon ou la fragilité d’un pacte que chacun a interprété selon ses propres intérêts."

Trahisons et vengeances

"Lors des remaniements, les départs forcés peuvent être vécus comme des trahisons et réorienter des trajectoires politiques. C’est ainsi que Xavier Darcos a vécu ses deux mises à l’écart. La première intervient lors du second mandat de Jacques Chirac. En 2005, il ne demande qu’à rester au ministère de la Coopération. Il voit d’un bon oeil l’arrivée à Matignon de Dominique de Villepin et n’est pas inquiet pour son poste. Pourquoi le serait-il ? Ne s’est-il pas enrôlé, depuis quelque temps, sous la bannière du fougueux ministre de l’Intérieur en alimentant ses réseaux, rédigeant des notes à son attention et relisant même ses livres ? Il fait partie de ses proches, de ses amis. Du moins, il le croit. Jusqu’au moment où Villepin l’appelle, le jour du remaniement : "Tu ne pourras pas faire partie du gouvernement ; il faut que je compose une équipe resserrée…" Puis il téléphone à Frédéric de Saint-Sernin, son cousin, secrétaire d’État dans la précédente équipe, et lui tient le même langage. Pourtant, lui aussi fait partie de ses premiers soutiens. Quelques années plus tard, Darcos reste abasourdi : "Il a fait partir ceux qui l’ont le plus aidé. On ne s’en est toujours pas remis, mais j’ai compris par la suite que Villepin était un homme très agité et que cela correspondait à son tempérament inconséquent. Il a montré qu’il n’était pas fait pour la politique, car c’est absurde de se séparer de ses soutiens."

Un Villepin de perdu, un Sarkozy de retrouvé ! "Le jour même où j’ai quitté le gouvernement, Sarkozy m’a appelé et m’a dit : “Je croyais que Villepin était ton ami et il t’a lâché. Viens avec moi.” Du coup, Villepin a fait de moi un sarkozyste." Malin, Sarkozy demande à sa nouvelle recrue de lui préparer un rapport sur la situation matérielle et morale des enseignants. Une manière de le fixer auprès de lui et de lui faire miroiter un retour au gouvernement, s’il est élu. En 2007, soulagement pour Darcos : Sarkozy lui offre le poste que Chirac ne lui avait pas attribué cinq ans plus tôt, l’Éducation nationale."

Extraits de "Sur proposition du Premier ministre..." de Jean-Pierre Bédéï, aux Editions de l'Archipel

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Journaliste politique, Jean-Pierre Bédéï est éditorialiste et responsable du bureau parisien de La Dépêche du Midi. Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages historiques.

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