Roland Lescure : la réindustrialisation de la France passera aussi par celle de sa Défense

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Par Marc Pelletier Modifié le 27 mars 2023 à 19h27
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2000C'est le nombre d'entreprises travaillant dans le secteur de la défense en France

(illustration : un sous-marin de type Scorpène vendu à la Malaisie, exemple de succès français à l'export)

Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en charge de l’Industrie, Roland Lescure est aux manettes pour relancer la réindustrialisation de la France. Y compris pour l’un des fleurons français : l’industrie de la défense.

Roland Lescure est partout. S’il n’est pas le plus médiatique des ministres du gouvernement d’Elisabeth Borne, le détenteur du maroquin de l’Industrie depuis juillet 2022 a plusieurs fers au feu et ne semble pas ménager sa monture. À 56 ans, ce Parisien d’origine sillonne la France avec son bâton de pèlerin pour prêcher la réindustrialisation du pays. Et il a du travail.

La réindustrialisation multiforme

En janvier, on l’a ainsi pu le voir à Dunkerque sur le site d’Arcelor où l’État s’est engagé à soutenir l’industrie sidérurgique dans sa transformation vers le zéro carbone, à hauteur de 13,6 millions d’euros. Ensuite en Saône-et-Loire chez Industeel au Creusot, puis sur le site de la friche industrielle du démantèlement du Lucy III à Montceau-les-Mines où il a fait la promotion de la décarbonation de l’industrie lourde. Ce polytechnicien, ancien socialiste de centre-gauche et aujourd’hui bras-droit de Bruno Le Maire, sait que les résultats de son ministère sont scrutés avec attention. Après les deux ans de la crise sanitaire du Covid-19 et l’année de guerre en Ukraine, le pouvoir politique – de Matignon à l’Élysée – communique et mise beaucoup sur la réindustrialisation de la France.

Parmi les industries essentielles à l’économie française, celle de l’armement est aujourd’hui sous le feu des projecteurs, avec le soutien européen à l’Ukraine, mais aussi avec la compétition internationale que se livrent les principaux fabricants, américains, allemands, britanniques, chinois ou russes. Dans le domaine, la France a des atouts à faire valoir, et de véritables succès industriels, à commencer par l’avion Rafale qui a raflé la mise en 2021 avec quatre méga contrats (Croatie, Égypte, Émirats Arabes Unis, Grèce). L’année 2021 a d’ailleurs marqué un record pour la France, avec 28 milliards d’euros d’exportation.

Produire plus, dans le sillage de la guerre en Ukraine

Depuis, la crise en Ukraine est passée par là. En juillet 2022, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a largement insisté sur la nécessité d’accélérer la production de la défense : « La base industrielle et technologique de défense française souhaite avancer vite. Pour gagner plusieurs mois voire plusieurs années (...), ce sont une multiplicité de petites décisions qu’il faut prendre à divers niveaux » au sein des entreprises mais aussi au niveau de l’État. Pour étoffer les carnets de commandes – et pas seulement celui du Rafale –, il va falloir embaucher et donner les moyens aux entreprises françaises d’exporter davantage.

En septembre dernier, dans le cadre de la commission de l’Assemblée nationale de la Défense nationale et des forces armées, Roland Lescure a lui aussi rappelé le caractère essentiel de l’industrie de la défense dans l’éventail industriel français : « Au-delà de l’enjeu de la souveraineté française et européenne, disposer d’une industrie de haute technologie, d’une industrie de la défense forte et résiliente est un facteur de compétitivité. Si la France est le sixième exportateur de biens et services au monde et le troisième en matière de défense, c’est dû en partie à l’excellence de sa recherche, de sa main-d’œuvre et de sa maîtrise technologique. » C’est un fait, le succès des entreprises liées au ministère des Armées rejaillit aussi sur nombre de sous-traitants. Selon Benoit Rademacher, directeur du domaine Armement et Économie de défense de l’Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), l’industrie de la défense regroupe 2000 entreprises et représente à elle seule 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais la bataille pour rester à l’avant-garde est permanente.

Exporter plus, un enjeu majeur

Le théâtre des opérations à l’est de l’Ukraine est aujourd’hui un véritable mètre étalon pour l’industrie française de la défense, et met en évidence la nécessité d’avoir en catalogue des moyens technologiques de pointe pour les forces terrestres. Si les décisions de livrer des canons Caesar à l’Ukraine font régulièrement la une des journaux – la dernière date du 31 janvier –, d’autres niches de l’industrie de l’industrie de la Défense française pourraient espérer autant d’attention tant leur potentiel est élevé.

Du côté du gouvernement, Roland Lescure le sait : il va falloir mettre les bouchées doubles pour remplir les carnets de commandes à l’export, dans tous les secteurs de l’armement. « Un certain nombre de nos industriels, militaires mais aussi civils, s’inquiètent des difficultés croissantes de financement à l’export, a-t-il souligné devant la commission parlementaire. La crise en Ukraine va changer les priorités stratégiques, notamment en Europe, où les dépenses dans le secteur de la défense vont croître. Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique suit de très près le financement des exportations. Il entend s’assurer que nos entreprises peuvent continuer à produire, à vendre en France et à exporter partout dans le monde des produits de qualité. »

Sur le plan de l’armement terrestre, dont les programmes, financièrement moins significatifs que ceux des secteurs aérien ou maritime, font moins la une des journaux économiques, l’attention médiatique tourne aujourd’hui autour de la livraison de chars lourds à l’Ukraine, que ce soit les fameux Leopard 2 allemands, les Abrams américains ou les Leclerc français. Si la France n’a pas vraiment de carte industrielle à jouer sur ce moment de la partie, d’autres marchés offrent en revanche de belles perspectives, et sont de ce fait susceptibles d’avoir un effet d’entrainement durable sur l’ensemble des entreprises concernées.

À côté de la Belgique avec le programme CaMo, déjà bien avancé, c’est notamment le cas du Qatar – qui doit renouveler sa flotte de véhicules de combat d’infanterie par une grande quantité d’engins combinant fiabilité et haute technologie, selon la tendance en vogue dans tous les pays de la zone. Dans ce domaine, la France propose un engin qui a fait ses preuves dans l’armée française : le VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie), équipé de la tourelle CTA40 dernier cri, et sorti des usines de Nexter Systems. Si le site de fabrication de Roanne tourne à plein régime pour honorer les besoins de l’armée de terre française, les commandes ne s’étalent guère au-delà de 2025. L’éventuel contrat qatari serait de nature à faire tourner les chaines bien au-delà, avec, pour cette ville située à 50mn de Lyon, et pour les sous-traitants de Nexter, le maintien de l’activité et l’espoir de l’effet « boule-de-neige » de ce genre de premier succès à l’export. Une perspective d’autant bien venue que pour l’heure, l’optimisme ne règne pas chez les industriels de défense terrestre qui anticipent la nouvelle loi de programmation militaire « à leur désavantage ». Aux pouvoirs publics et à Roland Lescure de les rassurer tant les enjeux de souveraineté sont évidents pour cette filière.

Qualifié de « gestionnaire prudent et d’investisseur de long terme » par le magazine Challenges, Roland Lescure connaît bien les affaires publiques – il était déjà passé par le ministère de l’Économie lors du lancement de l’euro, puis par l’INSEE et la Caisse des dépôts et consignation – ainsi que le secteur privé où il a occupé des postes de direction au sein de Natixis Asset Management et de l’assureur Groupama. Aujourd’hui en charge de l’Industrie, l’un de ses objectifs se joue évidemment à l’échelle nationale : les contrats à l’export de l’industrie de la défense, une fois signés, se transforment en milliers d’emplois locaux, directs et indirects, et permettent le développement des territoires. Car Emmanuel Macron et Elisabeth Borne – s’ils peuvent se féliciter des exportations françaises – ont aussi dans le viseur les retombées locales des bonnes performances des entreprises françaises.

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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