Je pense sans cesse au regretté baron Guy de Rothschild, « juif sous Pétain, paria sous Mitterrand » (après la nationalisation de la banque par les socialistes…) qui, d’un trait de plume, résumait assez bien la paralysie chronique qui frappe indistinctement tous les Présidents en exercice : « La France est le pays du verbe ; chaque fois que l’on a parlé, on croit avoir agi… ».
Emmanuel Macron appelle l'État à regarder ses responsabilités en face
La cérémonie d’hommage aux victimes de l’attentat de Nice, perpétré le 14 juillet 2016, en est l’une des dernières illustrations. À une nuance près, cependant : pour la première fois, le nouveau Président, fraîchement élu, a ouvertement reconnu que, peut-être, l’État avait failli, confessant à cette occasion qu’il comprenait les reproches et la colère des familles des victimes, au regard du dispositif de sécurité qui avait été mis en place : « L’État doit regarder ses responsabilités en face. Et si la République était frappée de surdité quand ses fils et ses filles lui crient leur douleur et leur indignation, elle ne serait pas la République, mais un régime à bout de souffle. »
Cet aveu l’honore, tout comme l’hommage qui a été rendu à Franck Terrier, ce citoyen ordinaire qui, au péril de sa vie, a tenté de stopper la course folle du camion du terroriste sur la Promenade des Anglais.
Il n'y aura jamais assez de mots et de médailles pour remercier tous les citoyens anonymes de ce pays qui, chaque jour, font preuve de courage et d'abnégation
En cet instant solennel, Emmanuel Macron aurait été bien inspiré de rendre hommage, également, à ces autres « héros ordinaires » qui, dans le Thalys, au Stade de France ou au Bataclan, ne craignirent pas d’affronter le danger : qui s’en souvient ?...
Ils sont nombreux, en France, ceux qui, dans l’anonymat le plus complet, ont des comportements héroïques, uniquement dictés par leur conscience. Cela porte un nom, le courage, une vertu qui s’accompagne souvent d’une bonne dose d’humilité et d’abnégation, autant de qualités qui font tant défaut à notre classe dirigeante.
Ironie du sort, c’est le 12 juillet 2016, soit deux jours avant l’attentat de Nice, qu’avait été officialisée, par décret, une nouvelle distinction : la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme. (Le Point, 07/09/2016)
Or, ce ne sont ni les discours ni les décorations qui feront revivre les morts ou qui effaceront les traumatismes irréversibles, physiques, psychologiques et sociaux causés aux rescapés et à leurs familles. Seule une politique volontariste et pragmatique, s’appuyant sur une stratégie clairement définie et dotée des moyens appropriés, sera en mesure de faire face à la menace et de répondre aux attentes des Français : aux beaux discours, préférons toujours les actes…
Au moment précis où le gouvernement est aux prises avec un autre « État d’urgence », d’ordre économique et social, hérité des dérives passées, la tâche risque de s’avérer particulièrement complexe. Comment, en effet, « tailler à coups de serpe » dans les dépenses et les effectifs de la fonction publique (État, collectivités) et garantir, sans trahir sa parole, que dorénavant « tout sera fait pour que la République, l’État et la puissance publique regagnent la confiance de nos concitoyens… » ?
Les Français en seraient-ils toujours réduits à accepter une fatalité bien commode et à apprendre à vivre sans cesse avec la « résilience » chevillée au corps ?
L'excuse de la fatalité et le culte de la résilience ne sont rien d'autre que les cache-sexes de l'impuissance…
À ce stade, les cérémonies commémoratives, soigneusement mises en scène, qui entourent chacun des attentats qui frappent notre pays, n’en finiront pas de s’enchaîner, les unes après les autres. Or, le plus fâcheux, dans cette affaire, c’est que l’extraordinaire retentissement médiatique qui leur est donné ne peut que conduire les terroristes à poursuivre leur entreprise criminelle, une entreprise qui, précisément, gagne chaque jour de nouveaux adeptes grâce à cette publicité gratuite…
Il est parfaitement possible de rendre hommage aux victimes, dans la discrétion et la dignité, ne serait-ce qu’en commençant par réparer « sans délai » les préjudices subis par les victimes et leurs familles. Franck Terrier, notre nouveau héros, a eu beaucoup de chance : ce soir-là, l’arme du terroriste qui le visait s’était enrayée. S’en tirant avec une côte cassée et quelques hématomes, c’est grâce à un « appel de dons » qu’il a pu s’offrir un nouveau scooter, après que le sien eût été détruit lors de son intervention… (Europe 1, 27/07/2016)
Une simple anecdote qui en dit long sur la volonté de l’État d’assumer ses responsabilités…
Puisse Emmanuel Macron faire évoluer l’administration et faire en sorte que la parole de l’État se traduise enfin par des actes bien concrets… C’est parfaitement possible, pour peu que celui-ci sache faire preuve du même courage que celui qui anime bien des citoyens ordinaires… N’est-ce pas Périclès, l’un de ses illustres prédécesseurs, qui disait : « Le secret du bonheur, c’est la liberté, et le secret de la liberté, c’est le courage… » ?