Les agriculteurs en colère : quand le fumier remplace les pancartes

Le 11 décembre 2024, les agriculteurs français ont intensifié leurs actions dans plusieurs régions.

Adelaide Motte
Par Adélaïde Motte Publié le 12 décembre 2024 à 18h30
Agriculteur

Alors que les revendications portées en début d'année semblent n'avoir pas été entendues et que la motion de censure les laisse sans ministre dédié, les agriculteurs retournent sur les routes et multiplient les coups d’éclat pour se faire entendre.

Les agriculteurs déversent du fumier dans les villes

Les manifestations ont atteint une ampleur impressionnante à Dijon, où des dizaines de tonnes de fumier et de pneus ont été déversés devant des sites stratégiques de la ville. Ce type d'action symbolise une exaspération profonde envers un gouvernement perçu comme sourd aux difficultés agricoles. Selon un représentant syndical, ces actions visent à « rappeler l'urgence de réformes agricoles équitables et efficaces ».

Plus au sud, dans la région de Toulouse, les agriculteurs de la Coordination Rurale du Lot-et-Garonne ont envahi un péage sur l'autoroute A62, bloquant des centaines de véhicules. Après cette opération, ils ont pris d'assaut un centre commercial pour dénoncer la présence de produits étrangers qu'ils jugent injustement compétitifs par rapport aux normes françaises.

À Toulouse, les agriculteurs ont également retiré des produits étrangers des rayons d’un hypermarché avant de les déposer aux caisses, accompagnant leur geste de slogans dénonçant l’« hypocrisie » des politiques commerciales. Ces actes sont autant de messages adressés à un gouvernement perçu comme incapable de protéger les intérêts agricoles nationaux.

Une colère créative : le "mur des cons" en meules de foin

Parmi les actions marquantes de cette grève, l'installation symbolique d'un "mur des cons" à base de meules de foin a retenu l'attention. Cette structure, érigée par des agriculteurs en Bourgogne, représente une liste non exhaustive des "responsables" de leurs maux. Ministres, institutions européennes, grandes enseignes de distribution : tous sont pointés du doigt pour leur rôle perçu dans la détresse du monde agricole.

Un représentant de la Confédération paysanne a déclaré sur place : « Ce mur, c’est notre manière de dire que nous ne sommes pas dupes. Chaque décision politique, chaque norme absurde, chaque promotion de produits étrangers au détriment des nôtres, c’est une brique ajoutée à ce mur qui nous sépare d’un avenir digne. »

Cette action, à la fois ironique et percutante, a suscité un débat national sur les responsabilités de chaque acteur dans la crise agricole. Pour les agriculteurs, ce geste illustre leur frustration mais aussi leur volonté de rendre visible une détresse trop souvent ignorée par les élites politiques et économiques.

Les agriculteurs savent ce qu'ils veulent, le gouvernement ne sait pas quoi accorder

Les revendications des agriculteurs convergent vers trois points principaux. Un allègement des normes administratives et environnementales qui, trop contraignantes, rendent la production française moins compétitive. Elles augmentent également les coûts de production et les prix de vente se trouvent alors trop bas pour garantir une juste rémunération aux agriculteurs.

Dans une telle situation, l'attrait de la France pour le libre-échange et les différents traités, notamment le Mercosur, exaspèrent les agriculteurs. Ils fustigent l'importation de produits qui ne respectent pas les normes européennes strictes. Ces demandes ne sont pas nouvelles. Lors de précédentes grèves, le gouvernement avait promis des ajustements, mais la lenteur des réformes et l’absence actuelle d’interlocuteur politique majeur bloquent tout progrès.

Un dialogue européen en panne

La France n'est pas la seule à ne pas savoir comment répondre aux difficultés des agriculteurs. Les ministres européens de l'Agriculture peinent à trouver un consensus sur une vision commune pour l’avenir de la Politique Agricole Commune (PAC). Alors que les grands exploitants étrangers, notamment ukrainiens, gagnent en puissance, les exploitations familiales européennes risquent de disparaître.

La France, autrefois pilier de l’agriculture européenne, se retrouve tiraillée entre des pressions internes et des défis communautaires.

Un cri d’alerte déjà ignoré

La grève des agriculteurs en décembre 2024 s'inscrit dans la continuité d’un mouvement de contestation amorcé dès le début de l’année. Fin décembre 2023, les professionnels de l’agriculture avaient déjà organisé une série de manifestations d’envergure pour alerter sur les mêmes problématiques : des normes trop rigides, des revenus insuffisants et une concurrence étrangère jugée déloyale.

Lors de cette mobilisation, des cortèges de tracteurs avaient envahi les rues des grandes villes françaises, créant des embouteillages spectaculaires et bloquant des infrastructures stratégiques comme les dépôts pétroliers et les axes autoroutiers. À Paris, des milliers d’agriculteurs s’étaient rassemblés sur l’esplanade des Invalides pour dénoncer une « politique agricole hors sol », selon les termes d’un communiqué de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles).

Malgré une couverture médiatique importante, les résultats avaient été mitigés. Le gouvernement avait promis une révision des normes administratives et une meilleure redistribution des aides agricoles. Toutefois, ces engagements sont restés lettre morte, aggravant la méfiance des agriculteurs envers les pouvoirs publics. Un porte-parole de la Coordination Rurale résume la situation : « Nous avons déjà tiré la sonnette d’alarme il y a dix mois. Rien n’a changé, et les difficultés n’ont fait qu’empirer. Nos exploitations sont étranglées par des charges insupportables et un marché qui nous abandonne. »

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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