Cette réforme, orchestrée par l’État, unifie l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Derrière cette réorganisation, officiellement présentée comme une réponse aux défis énergétiques et environnementaux, se cache une transformation d’envergure de la gouvernance nucléaire française. Mais au-delà des ambitions affichées, cette réforme soulève des interrogations sur l’équilibre des pouvoirs et les répercussions pour le secteur nucléaire.
ASNR : quand la centralisation redessine le secteur nucléaire français
Une réforme politique au cœur des enjeux énergétiques
La fusion de l’ASN et de l’IRSN n’est pas qu’un simple ajustement technique. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large de relance de la filière nucléaire française, annoncée par le président Emmanuel Macron dans un contexte de crise énergétique et de transition écologique. La création de l’ASNR vise à rationaliser les processus décisionnels en rassemblant sous une seule autorité les fonctions d’expertise et de contrôle.
Avec des projets de construction de nouveaux réacteurs EPR2 et la nécessité de prolonger la durée de vie des installations existantes, l’État justifie cette réforme par un besoin d’efficacité administrative. Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, a évoqué une autorité « plus forte, plus attractive et plus indépendante ». Mais ces arguments suffisent-ils à apaiser les craintes ?
Centralisation : entre opportunité et dérive
Derrière l’apparente logique de simplification se pose la question de la concentration des pouvoirs. Jusqu’à présent, l’ASN, en tant que gendarme du nucléaire, et l’IRSN, spécialiste de l’expertise scientifique, opéraient de manière distincte. Cette séparation garantissait une certaine indépendance des analyses techniques, écartant les conflits d’intérêts entre expertise et prise de décision.
Avec l’ASNR, ces deux fonctions fusionnent. Si le gouvernement promet que l’indépendance scientifique sera préservée, des experts et syndicats redoutent que cette réorganisation n’affaiblisse les garanties en matière de sûreté. Michaël Mangeon, historien du nucléaire, s’inquiète de la disparition d’un regard critique indépendant, soulignant que « les enjeux techniques risquent d’être éclipsés par des impératifs économiques et industriels ».
Une décision contestée, un calendrier serré pour le nucléaire
Adoptée via la loi n° 2024-450, promulguée le 21 mai 2024, la réforme a provoqué une bataille parlementaire. Critiquée pour son manque de concertation, elle a été initialement rejetée par l’Assemblée nationale en 2023 avant d’être approuvée à l’issue de longues négociations. Les syndicats de l’IRSN et certains élus dénoncent une réforme menée « au pas de charge ».
Le délai imposé pour la mise en œuvre – moins d’un an – est jugé insuffisant pour harmoniser les équipes et les missions. « Cette précipitation risque de compromettre la transition », alerte Sébastien Lambert, représentant syndical CFDT, qui met en garde contre une « diaspora des talents » vers le secteur privé.
Un test politique pour le gouvernement
Cette réforme n’est pas sans rappeler les arbitrages politiques qui ont façonné d’autres secteurs stratégiques en France. Si elle réussit, elle pourrait devenir un modèle de modernisation dans la gestion publique. Mais en cas d’échec, elle pourrait renforcer le scepticisme envers les décisions de l’exécutif en matière de gouvernance énergétique.
L’ASNR symbolise un pari sur l’avenir : conjuguer rapidité et rigueur, indépendance et efficacité. Les premiers mois de son fonctionnement seront déterminants pour juger de sa capacité à répondre aux attentes. À ce stade, la question demeure : cette réforme servira-t-elle l’intérêt général ou renforcera-t-elle les pressions économiques sur les politiques publiques ?