Extrait du livre Propos sur la souveraineté européenne. Défis sanitaires, sécuritaires, démocratiques, de Florence Chaltiel Terral, Yves Doutriaux, et Maxime Lefebvre, éditions Lefebvre Dalloz, 2024. Préface de Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
Autonomie stratégique ou souveraineté européenne ?
Autonomie stratégique ou souveraineté européenne ?
Le concept de souveraineté européenne fait sens dans la politique commerciale ou la politique monétaire, domaines largement « fédéralisés » où l’action de l’Union (à travers ses compétences « exclusives ») prévaut sur celle des États membres. Toutefois, l’Union est loin d’avoir réalisé l’union des marchés de capitaux et d’avoir pu donner à l’euro un poids équivalent à celui du dollar dans la finance internationale (6). La politique commerciale, de plus en plus teintée d’exigences de réciprocité comme le souhaite la France (sur les subventions, sur les investissements, sur le respect des normes sociales et environnementales, sur l’accès aux marchés publics, sur la lutte contre les émissions de CO2, sur la coercition économique), exprime depuis toujours une vraie politique unifiée, et se réoriente vers les pays amis comme ceux d’Amérique latine (Mexique, Chili) ou l’Australie et la Nouvelle-Zélande (v. le « friendshoring » évoqué supra).
Pour compliquer encore le débat, la Commission européenne met aussi l’accent sur la « sécurité économique » (communication de juin 2023), qui doit répondre aux risques (résilience des chaînes d’approvisionnement, sécurité des infrastructures critiques, sécurité technologique, lutte contre la coercition économique). C’est une autre approche du débat sur l’autonomie stratégique et on y retrouve à la fois le dilemme entre protection et ouverture et la nécessité d’une action coordonnée entre l’Union et les États membres.
En matière de défense, la souveraineté européenne et l’autonomie stratégique se heurtent à de sérieuses limites, comme nous l’avons évoqué. L’évolution du monde a tendance à renforcer la dépendance de l’UE aux États-Unis et à l’OTAN, et l’UE veille donc à s’inscrire dans une pleine complémentarité avec l’Alliance. Les moyens du Fonds européen de défense (environ 1 milliard d’euros par an), et les moyens dégagés pour aider militairement l’Ukraine, contribuent au renforcement de l’industrie européenne de défense, de même que les grands projets structurants du futur (avion de combat européen, char européen). Il y a là une différence importante avec le rôle (négligeable) que jouait la Communauté européenne en matière de défense à l’époque de la guerre froide.
Le débat sur l’autonomie stratégique « ouverte », qui au fond ne se distingue plus sur le fond de la souveraineté européenne comme l’a admis le président E. Macron lui-même (7), va se poursuivre sous la prochaine législature. Une Europe moins dépendante, qui se muscle sur le plan économique et industriel : tel devra rester le cap politique dans un monde de plus en plus fracturé où l’Union ne peut entièrement se reposer sur l’alliance américaine, surtout dans l’hypothèse d’une nouvelle présidence Trump.
5. Il est compliqué d’établir des comparaisons car il faut ajouter les financements européens (le budget européen se monte actuellement à 170 milliards par an en crédits de paiement, dont une partie seulement finance la politique industrielle, la recherche et les infrastructures), les budgets des États et les financements privés levés grâce à des garanties publiques. Les États-Unis ont planifié plus de 1000 milliards de dollars de fonds publics pour développer leur base productive durant la décennie actuelle : plus de 500 milliards pour les infrastructures (Infrastructure Law, 2021), 275 milliards pour la recherche-développement dont 77 milliards pour les semi-conducteurs (Chips & Science Act, 2022), plus de 400 mil- liards pour la transition énergétique et la santé (Inflation Reduction Act, 2022).
6. Malgré les conclusions ambitieuses du Conseil Ecofin du 5 avr. 2022 sur l’autonomie stratégique dans le secteur économique et financier
7. Discours à Bratislava, 31 mai 2023, et interview au Point, 23 août 2023.