Crédit Suisse et fraude fiscale : les Etats-Unis condamnent la banque

Les relations entre les grandes institutions financières et les autorités fiscales nationales connaissent un nouveau moment de tension. Le cas Credit Suisse relance le débat sur la coopération internationale en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 6 mai 2025 11h57
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Le 5 mai 2025, le Département de la Justice américain a annoncé qu’un accord avait été trouvé avec Credit Suisse Services AG, filiale de l’ex-groupe Credit Suisse. Ce règlement d’un montant de 510,6 millions de dollars met un terme à plusieurs années d’investigations autour de pratiques d’évasion fiscale à destination de contribuables américains.

Un accord juridico-financier lourd de conséquences

L’accord conclu entre le Département de la Justice des États-Unis (DOJ) et la structure Credit Suisse Services AG intervient dans le cadre de la mise en œuvre partielle de l’accord de plaider-coupable signé en 2014 entre la banque suisse et les autorités américaines. Il s’agit, selon les termes du communiqué publié par UBS, de solder les manquements à cet engagement, notamment dans la gestion de comptes bancaires ouverts pour des contribuables américains en dehors des exigences de transparence imposées par l’IRS (Internal Revenue Service).

La filiale de l’ex-groupe Credit Suisse a reconnu avoir participé à des opérations visant à dissimuler l’identité réelle de détenteurs de comptes bancaires domiciliés aux États-Unis, facilitant ainsi la soustraction de ces clients à l’impôt fédéral américain. Le DOJ estime que plus de 4 milliards de dollars ont échappé au fisc via au moins 475 comptes non déclarés, essentiellement enregistrés en Suisse et à Singapour.

Un dispositif en deux volets : sanctions financières et aveux

Le dispositif annoncé comprend deux éléments. D’une part, Credit Suisse Services AG a plaidé coupable pour « conspiration en vue de faciliter la soumission de fausses déclarations fiscales ». Cette première infraction donne lieu à une pénalité de 371,9 millions de dollars. D’autre part, la banque s’est engagée dans un accord de non-poursuite portant sur l’activité de son ancien centre de gestion à Singapour, lequel hébergeait également des comptes non déclarés détenus par des citoyens américains. Cette seconde partie implique un paiement de 138,7 millions de dollars.

Au total, l’amende s’élève donc à 510,6 millions de dollars, soit environ 470 millions d’euros. Selon les éléments rendus publics, la majorité des faits reprochés remontent à une période antérieure à l’acquisition de Credit Suisse par UBS, en mars 2023.

UBS affirme sa non-implication, mais assume la charge financière

UBS, désormais propriétaire de Credit Suisse, a confirmé avoir été informée des investigations lors du processus de fusion. Elle affirme ne pas avoir pris part aux pratiques incriminées, mais accepte de couvrir les conséquences juridiques et financières de ce litige. Dans un communiqué publié le 5 mai 2025, la direction du groupe précise que l’accord a été anticipé dans le cadre de la gestion comptable des passifs de Credit Suisse, et que cette charge sera absorbée dans les résultats du deuxième trimestre 2025.

Cette stratégie d’anticipation s’inscrit dans la ligne politique de la Confédération suisse, qui avait encouragé UBS à acquérir son concurrent pour éviter un effondrement du système bancaire national. Le rachat avait été mené sous l’égide de la Banque nationale suisse et du Conseil fédéral, dans un contexte de perte de confiance accélérée à la suite de multiples affaires, dont l’effondrement du fonds Archegos en 2021.

Une coopération judiciaire transatlantique en renforcement

Ce règlement judiciaire illustre la montée en puissance de la coopération entre les institutions fiscales et judiciaires américaines et les établissements financiers internationaux. Depuis l’adoption du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) par le Congrès des États-Unis en 2010, les banques étrangères opérant avec des contribuables américains sont soumises à des obligations strictes de déclaration.

Les pratiques relevées dans cette affaire indiquent que Credit Suisse avait, au moins jusqu’à une période récente, contourné ces obligations, en dépit de l’accord de 2014 dans lequel elle s’était engagée à cesser toute activité de ce type. Le DOJ précise que l’affaire n’est pas nécessairement close : Credit Suisse Services AG s’est engagée à coopérer avec d’éventuelles enquêtes complémentaires.

Une affaire symptomatique des défis de la régulation bancaire

Sur le plan politique, ce dossier relance la question de la capacité des autorités nationales à faire respecter les règles fiscales dans un contexte de mondialisation financière. Il soulève également une interrogation sur la responsabilité des États face à leurs champions bancaires. Le gouvernement suisse n’a pas encore réagi publiquement à cette annonce, alors que le cas Credit Suisse continue de polariser les débats internes sur la gouvernance financière, la régulation prudentielle et la réputation de la place helvétique.

Du côté américain, le règlement a été présenté comme un aboutissement important d’un travail judiciaire de long terme. Le DOJ a insisté sur la nécessité de démontrer que les accords antérieurs, notamment les engagements de conformité, doivent être appliqués avec rigueur.

Enjeux géopolitiques et fiscaux à l’échelle internationale

L’affaire intervient dans un contexte de durcissement global des normes contre l’évasion fiscale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Union européenne et de nombreuses juridictions nationales renforcent depuis plusieurs années leurs mécanismes de transparence, notamment via l’échange automatique d’informations. Le cas Credit Suisse met en lumière les limites persistantes de ces dispositifs, en particulier lorsqu’ils se heurtent à des pratiques anciennes ou des systèmes bancaires historiquement peu coopératifs.

Pour la Suisse, cette situation pourrait accélérer la refonte de certaines règles encadrant l’activité bancaire transfrontalière. Le secteur, très intégré dans les flux internationaux de capitaux, est aujourd’hui confronté à une exigence accrue de conformité. Plusieurs parlementaires suisses ont déjà évoqué la nécessité d’ouvrir une enquête parlementaire sur la succession de scandales ayant affecté Credit Suisse au cours de la dernière décennie.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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