Cyberguerre : l’intelligence artificielle menace les États ?

Attaques invisibles, systèmes paralysés, informations falsifiées : la cyberguerre, dopée à l’IA, défie désormais les fondations mêmes de l’État. En France et ailleurs, la réponse politique tarde, alors que la menace, elle, avance à grande vitesse.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Published on 9 avril 2025 10h58
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Cyberguerre : l’intelligence artificielle menace les États ? - © PolitiqueMatin

Depuis décembre 2024, date de publication du 2025 Armis Cyberwarfare Report, la réalité est désormais établie : l’intelligence artificielle transforme la cyberguerre en arme de déstabilisation massive. Les chiffres donnent le vertige. 87 % des décideurs IT dans le monde, et 85 % en France, affirment que la menace s’est intensifiée. Plus d’un sur deux estime que l’État n’est pas prêt. L'alerte est lancée. Mais qu'en est-il réellement de l'action publique ?

Des attaques orchestrées par l’IA : la nouvelle donne de la guerre

Oubliez les tanks. La guerre se mène désormais via des algorithmes capables d’identifier des failles, de s’y infiltrer et de semer le chaos. Les États font face à des adversaires diffus : puissances hostiles, groupes terroristes, cybercriminels motivés par le gain ou la stratégie.

L’IA permet aux attaquants de concevoir des malwares évolutifs, de générer des campagnes de désinformation avec des deepfakes indétectables, ou encore d’anticiper les réactions des défenses nationales. Résultat : la vitesse d’exécution des attaques dépasse les capacités humaines de riposte. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) reconnaît elle-même que « la sophistication croissante des attaques dépasse aujourd’hui les moyens classiques de détection » dans une note interne de janvier 2025.

Une France lucide mais en retard

La France n’ignore pas le problème. Dès 2021, le gouvernement lançait une stratégie nationale avec un investissement d’un milliard d’euros pour renforcer la cybersécurité. Objectifs affichés : tripler le chiffre d’affaires du secteur et doubler les emplois d’ici 2025. Mais à ce jour, les résultats restent insuffisants.

Dans le 2025 Armis Cyberwarfare Report, seuls 45 % des décideurs IT français estiment que leur organisation dispose des compétences nécessaires pour gérer les outils de cybersécurité à base d’IA. Pire : 49 % disent ne pas avoir les moyens budgétaires pour les déployer. Et cela, alors que 77 % des experts français interrogés reconnaissent que « les tensions géopolitiques ont créé une menace accrue de cyberguerre ».

Les Jeux Olympiques de Paris en 2024 ont été une première alerte. La France a repoussé des attaques massives mais a été la cible de désinformation orchestrée par des groupes affiliés à la Russie. Cette tentative de déstabilisation médiatique a révélé les limites de notre doctrine.

L’État face à une cyberguerre sans frontières

Contrairement aux conflits armés traditionnels, la cyberguerre brouille les lignes. Elle peut frapper les hôpitaux, les banques, les centrales électriques. Elle ne s’embarrasse pas de déclarations. Elle se joue sans frontière. Et surtout, elle est asymétrique : un petit groupe peut infliger des dégâts colossaux à une puissance étatique.

Face à cela, les réponses publiques restent encore trop défensives. L’Armis Report pointe une carence majeure : seules 12 % des organisations (publiques ou privées) anticipent et neutralisent les menaces avant leur déploiement. Les autres réagissent dans l’urgence ou trop tard.

Côté coordination européenne, des initiatives existent : l’UE a renforcé en 2024 son Centre européen de compétence en cybersécurité à Bucarest. Mais les États membres peinent à mutualiser leurs données, encore plus à partager leurs moyens d’IA. L’Allemagne, l’Italie et la France avancent en ordre dispersé.

Ce que les États peuvent – et doivent – faire maintenant

La menace est claire. Les technologies existent. Ce qui manque ? Une stratégie politique cohérente, des investissements structurels, et une culture de la cybersécurité intégrée à tous les niveaux de l’État.

L’IA ne peut être contrée que par l’IA. Cela suppose de former des ingénieurs spécialisés, de financer la recherche publique, de développer des modèles souverains (face à la dépendance aux technologies américaines ou chinoises), et d’outiller l’ensemble des administrations avec des systèmes d’alerte en temps réel. Aujourd’hui, moins de 46 % des entités interrogées en France utilisent des outils d’IA pour leur défense.

Les alliances comme l’OTAN ou l’Union européenne doivent intégrer pleinement la cybersécurité dans leurs plans de défense collective. Il s’agit aussi de poser des limites claires à l’usage militaire de l’IA : que se passera-t-il le jour où une IA autonome prendra la décision de frapper une infrastructure étrangère ?

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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