Traitements interdits, documents modifiés, décisions assumées au sommet de l’État. L’affaire des eaux contaminées de Nestlé dépasse la simple fraude sanitaire.
Scandale des eaux Nestlé : le silence coupable de l’État

Nestlé savait. L’État aussi. Et quand le Sénat demande des comptes, la réponse, c’est le silence.
Nestlé en fraude, l’État au courant
Perrier, Contrex, Hépar. Trois marques, un même schéma : des forages contaminés, des traitements interdits, et une communication bien verrouillée. Le groupe Nestlé admet les faits : pendant des années, ses usines ont utilisé des procédés de désinfection bannis pour l’eau minérale. Le tout avec l’aval discret, mais bien réel, des autorités. Le rapport sénatorial, publié le 19 mai 2025, est sans appel : « Cette dissimulation relève d’une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021 ». L’État ne découvre pas la fraude. Il la gère en silence.
Pire : à l’Élysée, tout le monde suit le dossier de près. Les sénateurs affirment que la présidence « savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ». Mais rien n’est fait. Nestlé continue de produire. L’eau, elle, continue d’être étiquetée « naturelle ». Et le consommateur continue de payer pour une promesse qui n’existe plus.
Pourquoi un tel mutisme ? La réponse tient en un mot : pouvoir. Nestlé est un mastodonte. Un employeur stratégique dans plusieurs territoires. Et face à la menace d’un retrait de licence ou d’une suspension d’activité, le groupe brandit son arme la plus redoutable : l’emploi. En 2022, une note adressée à Matignon met en garde : « Attention, ils vont nous coller ces suppressions d’emplois sur le dos ». Nestlé évoque 120 postes menacés dans les Vosges. Pour les sénateurs, il s’agit d’un chantage clair, et l’État cède.
Dès 2021, Nestlé avait entamé son offensive : rencontres ministérielles, plans de transformation, promesses de conformité. Mais toujours avec des conditions. Le groupe ne propose pas. Il impose. Il n’arrête ses traitements interdits qu’en échange de l’autorisation d’une microfiltration à 0,2 micron, pourtant non conforme au cadre réglementaire. Et l’État valide. Sans procédure judiciaire. Sans transparence. Sans consultation des autorités locales.
Une impunité organisée, une confiance brisée
À Vergèze, où est produite Perrier, les inspecteurs découvrent que Nestlé modifie un rapport sanitaire à son avantage. Certains passages sont même rédigés par l’industriel lui-même. « L’industriel a caviardé, est devenu censeur, et même co-auteur d’un rapport d’une autorité régionale de santé », dénonce Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission. Le fonctionnaire en charge du texte refuse de signer. Le document est quand même validé.
Aujourd’hui encore, la préfecture du Gard demande à Nestlé de retirer ce système de microfiltration, jugé non conforme. Le groupe affirme avoir des alternatives. Mais tant que l'autorisation d’exploitation court, Perrier reste en rayon. En silence, la marque vit sous perfusion administrative.
Malgré les révélations de 2021, l’État n’a signalé aucun délit au procureur. Aucun procès. Aucune sanction pénale. Seulement une inspection, commandée par l’Igas. Nestlé continue à exploiter, à exporter, à encaisser. Et l’étiquette “eau minérale naturelle” continue d’être apposée sur des bouteilles issues de forages jadis contaminés, passés au filtre interdit, puis au filtre toléré.
Le Sénat, lui, dénonce « l’absence de suspensions », « l’absence de signalements », « une inversion de la relation entre l’État et les industriels ». Une façon élégante de dire que l’État a abdiqué. Le résultat, c’est une défiance généralisée. vis-à-vis des entreprises, mais aussi vis-à-vis de l’autorité. Car ce scandale, c’est aussi celui de la rupture du contrat de confiance entre le citoyen et ceux qui le gouvernent. Si ce n'était pas déjà le cas depuis des années...