Désinhibition généralisée : vers la fin des démocraties ?

Extrait du livre : Reconstruire une pensée européenne, de Dominique Bourg, éditions Hermann, mars 2024.

Cropped Favicon.png
Par Dominique Bourg Publié le 20 mai 2024 à 9h00
régime politique, démocratie, droit humaine, politique, désinhibition, fin

Eu égard à la période historique qui commence avec l’avènement des grands empires agraires esclavagistes, à la fin du néolithique, la démocratie comme régime politique constitue une réalité géographiquement, et plus encore temporellement, infime. Tel est le cas tout du moins si on entend par démocratie un régime politique caractérisé par le suffrage universel et, indissociablement, un encadrement juridique non seulement du pouvoir politique, mais encore de tout pouvoir, à commencer par le pouvoir économique. Avec une telle définition, la démocratie américaine s’est le plus souvent tenue aux marges de la démocratie avec le principe des grands électeurs et des difficultés récurrentes à contrôler les pouvoirs financiers. La période la plus favorable commencerait avec Roosevelt et se terminerait avec les réformes successives de la Cour suprême dans les années soixante-dix pour ouvrir les vannes pécuniaires et privées au financement des campagnes électorales, présidentielles en premier lieu (2). Le triomphe de Trump en 2016 puis son retour possible au pouvoir en janvier 2025 avec des prétentions proprement fascisantes (3), prend avec cette perspective un autre sens. La France ne serait démocratique que depuis l’après-guerre. Avec désormais le triomphe des populismes et la pression qu’ils exercent sur l’ensemble des pays démocratiques, cette page semble se tourner. En quoi le paysage politique contemporain est-il devenu hostile à la forme démocratique d’organisation politique ? Et quel est dans ces conditions le devenir politique possible de l’Europe ?

Couv Reconstruire Pensee Europ

Je laisse ici de côté les organisations non hiérarchiques (au moins partiellement) de tant de sociétés qui ont précédé ou accompagné les grands empires agraires sur divers continents, les sociétés de la civilisation du Rubané (au moins partiellement), l’Athènes démocratique et esclavagiste de Périclès, les sociétés amérindiennes chères à Wengrow et Graeber avec l’influence de la figure amérindienne de Kandiaronk sur les débats de l’Europe moderne (4), ou encore celles chères à Pierre Clastres ou à James Scott, celles renvoyant à la Charta Magna puis à la tradition républicaine britannique, les républiques italiennes, la Charte du Maidan pour l’Afrique notamment, etc. Les démocraties représentatives que nous avons récemment connues s’inscrivent elles-mêmes dans le sillage d’une foule d’expériences politiques antérieures. Elles n’en constituent pas moins les seules à caractère démocratique à l’aune des grandes concentrations démographiques, avec en outre une division sociale du travail complexe. On le constate ainsi, même si les démocraties telles que définies plus haut se caractérisent par leur rareté, il n’empêche que l’inclination à une participation d’un groupe social aux décisions qui le concernent relève probablement d’une inclination forte et répandue, si ce n’est naturelle.

Pourquoi parlons-nous des démocraties représentatives contemporaines au passé ? Pour diverses raisons. La première est que l’idée selon laquelle la démocratie se réduit à l’élection est en passe de s’imposer dans nombre de discours publics (5). Sur la partie droite de l’échiquier, les droits humains fondamentaux sont systématiquement attaqués et le pouvoir des juges est tout aussi vilipendé. Le temps où le général de Gaulle pouvait affirmer à propos de Sartre, résolument à l’extrême-gauche de l’échiquier politique, « on n’enferme pas Voltaire », est derrière nous. Il est désormais convenu de pénaliser les contestations écologiques dans de nombreux pays, voire de gazer les activistes, fussent-ils des scientifiques. Taxer les écologistes de « terroristes », comme le fait notamment le ministre de l’Intérieur français, ne choque que peu d’électeurs ; tout en passant sous silence les exactions violentes et autres intimidations du syndicat de l’industrie agroalimentaire qu’est la FNSEA. Les formations politiques qui affirment chercher à réduire les droits fondamentaux ne sont désormais pas rares, comme il a été constaté lors de la dernière élection présidentielle française en 2022 ; la récente adoption en décembre 2023 de la loi immigration semble aller dans le même sens. Elle n’a été accompagnée d’aucune mesure d’impacts et devrait fragiliser les processus d’intégration. Une première, elle a donné lieu à la fronde de 32 départements et de quelques villes quant au versement sous conditions de l’allocation d’autonomie aux étrangers non européens. Le souci de l’observation stricte des règles démocratiques n’est pas toujours plus élevé à gauche où domine une formation comme LFI plus attachée au pouvoir du leader qu’à une organisation bottom up du mouvement. Il est difficile de considérer qu’une formation incapable de reconnaître le caractère terroriste des actions du Hamas le 7 octobre 2023 – quel que soit par ailleurs le contexte israélo-palestinien, des tragédies initiales au caractère extrême-droitier affirmé du gouvernement Netanyahou s’exprimant notamment par un tapis de bombes sur Gaza –, puisse être regardante en matière de droits humains fondamentaux ; pour ne citer que ce seul exemple.

Suivez-nous sur Google News PolitiqueMatin - Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités.

Aucun commentaire à «Désinhibition généralisée : vers la fin des démocraties ?»

Laisser un commentaire

Les Commentaires sont soumis à modération. Seuls les commentaires pertinents et étoffés seront validés. - * Champs requis