L’heure légale française est un outil stratégique, un levier de souveraineté nationale et un enjeu de sécurité qui dépasse largement les débats technocratiques. Pourtant, à l’ère du numérique et des réseaux satellitaires omniprésents, la décision de prolonger la diffusion du signal horaire ALS 162 par l’émetteur d’Allouis pour une décennie supplémentaire suscite des interrogations.
Souveraineté nationale : l’heure légale française prolongée pour 10 ans

Le 18 février 2025, le gouvernement français a confirmé la prolongation pour dix ans de la diffusion de l’heure légale française via l’émetteur grandes ondes d’Allouis. Cette décision, saluée par France Horlogerie et soutenue par de nombreux acteurs institutionnels, marque un choix clair en faveur d’une diversification des sources horaires. Dans un contexte où les cyberattaques ciblant les infrastructures critiques se multiplient, la dépendance exclusive aux technologies numériques et satellitaires présente des risques majeurs.
L’heure légale : bien plus qu’un repère temporel
Loin d’être un simple standard temporel, l’heure légale française constitue un maillon essentiel de l’organisation nationale. Derrière chaque train qui part à l’heure, chaque transaction bancaire validée et chaque réseau énergétique opérationnel, se cache un système de synchronisation exigeant une précision absolue. Cette régulation du temps concerne directement plusieurs secteurs.
Les transports, par exemple, ne peuvent fonctionner sans un repère temporel fiable. Les horaires des trains, des métros et de l’aviation civile sont strictement synchronisés avec l’heure légale, garantissant ainsi fluidité et sécurité. De la même manière, les infrastructures critiques comme les réseaux électriques et les systèmes industriels nécessitent une horloge de référence incontestable pour éviter toute désynchronisation susceptible d’entraîner des pannes ou des interruptions d’activité. Dans le domaine des communications et de la défense, l’heure légale joue également un rôle fondamental. Les échanges de données cryptées, les systèmes de géolocalisation et certaines opérations militaires reposent sur une référence temporelle qui se doit d’être indépendante et sécurisée.
Jusqu’à présent, ces secteurs s’appuyaient sur plusieurs sources horaires complémentaires : les serveurs Internet via le protocole NTP (Network Time Protocol), les signaux satellitaires GPS et Galileo, ainsi que la diffusion hertzienne via l’émetteur d’Allouis. Toutefois, dans un contexte où les vulnérabilités numériques s’accroissent, cette dernière option s’avère être bien plus qu’une simple alternative, mais une nécessité stratégique.
Un enjeu de souveraineté face aux vulnérabilités numériques
L’argument en faveur du maintien du signal ALS 162 repose sur un constat simple : la diversification des sources horaires est un impératif stratégique. Depuis plusieurs années, les incidents liés aux attaques sur les serveurs NTP et aux brouillages des signaux GPS se multiplient. En 2017, la Corée du Nord a démontré sa capacité à brouiller des signaux GPS sur plusieurs centaines de kilomètres, perturbant ainsi la navigation maritime et aérienne. Plus récemment, la Russie a été accusée d’utiliser des techniques de « spoofing » GPS pour désorienter les systèmes occidentaux en mer Noire.
Ces exemples mettent en évidence la vulnérabilité des infrastructures modernes lorsqu’elles sont exclusivement dépendantes des réseaux numériques et satellitaires. Contrairement à ces derniers, la diffusion hertzienne du signal ALS 162 ne peut être ni piratée ni désactivée à distance. Elle ne transite pas par des réseaux informatiques vulnérables aux cyberattaques et garantit ainsi une source horaire fiable et inaltérable. En cas de panne des systèmes numériques, la diffusion d’Allouis permet d’assurer une continuité du service public et des infrastructures vitales, en toute indépendance des infrastructures étrangères.
Le mythe de l’obsolescence technologique
Certains observateurs pourraient considérer ce maintien comme un vestige du passé, une réminiscence d’un temps révolu où les ondes radio régnaient en maître. À première vue, l’argument paraît recevable : nos smartphones, nos montres connectées et nos ordinateurs affichent l’heure en permanence, synchronisée avec des serveurs mondiaux. Pourtant, cette apparente simplicité occulte une réalité bien plus complexe.
Dépendre exclusivement des infrastructures numériques expose à des fragilités systémiques majeures. Le signal ALS 162, bien que basé sur une technologie ancienne, demeure l’une des rares alternatives capables de fonctionner indépendamment des réseaux Internet et satellitaires. Contrairement aux systèmes numériques, qui peuvent être mis hors service par des cyberattaques, des perturbations électromagnétiques ou des pannes réseau, la diffusion hertzienne garantit un fonctionnement en toutes circonstances. En somme, loin d’être une technologie obsolète, elle constitue une solution de secours robuste et fiable, capable d’assurer la continuité des services en cas de crise.
Comment fonctionnent les autres grandes puissances ?
Si la France fait le choix de maintenir un signal hertzien dédié à l’heure légale, elle n’est pas seule. À l’international, d’autres États ont adopté des stratégies similaires pour garantir la résilience de leur infrastructure horaire.
Le Royaume-Uni et l’Allemagne ont longtemps diffusé leur propre heure légale via des émetteurs radio de haute puissance. Le premier a néanmoins fermé son émetteur en 2007 pour basculer vers d’autres solutions hybrides, intégrant davantage les technologies numériques. Aux États-Unis, la stratégie repose sur une diversification maximale des sources temporelles : plusieurs signaux radio sont maintenus en parallèle des satellites et des serveurs NTP ultra-sécurisés. La Chine, quant à elle, a opté pour une approche unique en imposant un fuseau horaire identique sur l’ensemble de son territoire, bien que celui-ci s’étende sur plusieurs milliers de kilomètres.
Ces choix illustrent une réalité incontournable : aucun pays ne peut se permettre de reposer uniquement sur une infrastructure unique. La France, en maintenant l’émission du signal ALS 162, adopte une approche hybride qui allie sécurité, autonomie et résilience.