Trois enseignements des élections américaines

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Par Yannick Mireur Modifié le 24 novembre 2022 à 14h44
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Trump à la casse ? Les élections de mi-mandat survenues le 8 novembre ont certes déjoué les prognostiques d’une probable vague rouge barbecue marquée au fer Trump, mais le sang « populiste » excité par l’ex-président n’a pas rendu tout son jus.

Côté démocrate, en proclamant avoir perdu le moins de sièges à des midterms de premier mandat depuis Kennedy en 1962, le président Biden a résumé à son avantage le résultat politique des élections : pas de déroute, une défaite sommeillante, pourrait-on dire, comme les absences et les petits pas de geisha du président octogénaire, où d’aucuns voient le signe d’une sénilité menaçante. Enfin, restent ouvertes deux questions majeures : le renouvellement de part et d’autre en vue des présidentielles de 2024 est-il à attendre, et une nouvelle grande vision de la société américaine et de son rôle dans le monde émergera-t-elle, prévalant sur la polarisation qui afflige la politique aux Etats-Unis depuis des années ?

Le parti républicain saigne encore, objet d’une dérive idéologique qui n’a cessé de l’éloigner de ses sources, depuis « le serment pour l’Amérique » de 1994 et l’historique victoire républicaine à la Chambre des représentants sous la houlette de Newt Gingrich, jusqu’à l’improbable élection de Donald Trump en 2016 - à la faveur du vote par Etat, mais minoritaire au vote populaire. Surtout, la « guerre culturelle » conçue autour de god, guns and gays par Karl Rove, le stratège électoral de George W. Bush, qui l’a porté au pouvoir en 2000, puis le courant insurrectionnel du Tea Party contre l’étatisme socialisant des démocrates, ont fini par déborder les dirigeants les plus classiques. Avalant leur chapeau, la plupart durent endosser l’outsider Trump qui avait, tel un taureau déboulant dans l’arène, renversé les hommes et les codes du grand vieux parti (GOP) de Lincoln. Aujourd’hui, la défaite des candidats trumpistes les plus déroutants, et la consolidation de certains gouverneurs comme le Floridien Ron De Santis ouvre la possibilité d’alternatives pour la prochaine investiture présidentielle. Beaucoup l’attendent, et les mémoires de l’ex-vice-président Pence soulignent à point nommé l’insanité de celui qui poussa à un assaut contre le Congrès des Etats-Unis. L’influence de Trump demeurera, car l’hystérie qui a embrasé une partie des électeurs ne s’éteindra pas facilement, et le New-Yorkais sait raviver les braises. Mais son retour comme champion républicain en 2024, à 78 ans, a perdu en inéluctabilité.

La présidence Biden n’est pas désavouée par les résultats, en dépit d’un contexte économique inflationniste défavorable, d’une insécurité qui n’est pas anecdotique, et d’une adhésion faible à la personne du président. Outre les budgets qu’elle a réussi à faire adopter, notamment sur les infrastructures avec le vote de sénateurs républicains, elle continuera à pousser ses priorités que sont l’équité, le climat et la sécurité nationale, où la Chine restera un sujet de convergence entre les deux partis, les orientations de Trump ayant été reprises. Elle reste aussi l’avocate de libertés sociales remises en cause par la Cour suprême, comme le droit à l’avortement, emportant ainsi un soutien plus solide qu’annoncé dans l’opinion. Mais au-delà d’une marge de manœuvre qui pourrait être plus serrée encore que depuis 2020, la question des deux ans qui viennent est surtout celle de la succession et du projet pour l’Amérique que le parti démocrate devra élaborer.

En cherchant à refonder le pacte social historique appuyé sur les classes moyennes et populaires dont il est issu, Joe Biden a esquissé un véritable axe politique liant les affaires intérieures et extérieures. D’un côté, inscrites dans l’histoire, les initiatives réformistes au titre de l’antitrust prises en juillet 2021 reviennent aux sources d’un capitalisme américain régulé par la puissance publique en faveur des individus, ravivant à la fois le « square deal » du républicain Theodore Roosevelt et le New Deal de son cousin démocrate Franklin Roosevelt. De l’autre, une stratégie de réarmement industriel et de souveraineté devant la montée en puissance désormais ouvertement menaçante du régime communiste chinois, dont l’élite washingtonienne a longtemps pensé qu’il se rapprocherait d’un système d’état de droit et s’ouvrirait politiquement. L’esprit des réformes originelles du petit timonier Deng Xiaoping étant abandonné par Xi Jinping, l’Amérique se concentre sur cette rivalité stratégique qui fait réfléchir les experts militaires aux conditions d’un conflit en Asie-Pacifique.

Ces axes assez clairs ne suffisent cependant pas à emporter une majorité durable. Le leadership faible du président et les divisions internes du parti, dont une aile défend des mesures associées à un étatisme lourd et intrusif, appellent à un sursaut pour une vision gagnante en 2024. De même côté républicain, où s’expriment déjà des voix pour tourner la page Trump. Si une inflation record n’a pas porté une vague rouge, c’est bien que le GOP ne séduit pas. Un recadrage idéologique et un renouvellement d’incarnation sont nécessaires. Le courant dit populiste restera vigoureux, mais utiliser cette force pour armer un projet politique clair au service des classes moyennes et du « destin national » américain, comme le furent le « serment pour l’Amérique » de 1994 et le « conservatisme de compassion » de Bush en 2000, implique de clore l’ère Trump. Il est peu probable que cela suffise à voir émerger une grande stratégie pour l’Amérique au XXIe siècle.

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Auteur de Populisme Smart, Le retour du « peuple » dans la politique et comment y répondre, chez VA Editions

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