Trump contourne l’ONU pour exploiter les minerais des grands fonds

Une décision politique peut-elle redessiner les équilibres du droit international ? En signant un décret autorisant l’exploitation minière des grands fonds en dehors des juridictions nationales, Donald Trump relance un vieux débat sur les rapports entre souveraineté, coopération et gouvernance maritime.

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By Paolo Garoscio Published on 25 avril 2025 8h00
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Trump contourne l’ONU pour exploiter les minerais des grands fonds - © PolitiqueMatin

Le 24 avril 2025, l’ancien président américain Donald Trump a signé un décret visant à accélérer l’extraction de matières premières dans les fonds marins, y compris dans les zones au-delà de la juridiction des États-Unis. En rompant avec le processus multilatéral piloté par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), cette initiative relance les tensions sur l’interprétation du droit international de la mer et suscite des interrogations sur les relations entre puissance nationale et cadre juridique collectif.

Un décret à portée extraterritoriale

Le décret, intitulé Unleashing America’s Offshore Critical Minerals and Resources, affirme l’intention des États-Unis d’« accélérer le développement responsable des ressources minérales des fonds marins » et de sécuriser des chaînes d’approvisionnement « indépendantes des adversaires étrangers », explique la Maison Blanche.

Il confie au secrétaire au Commerce la tâche d’accélérer l’octroi de permis d’exploitation dans les eaux internationales, en vertu du Deep Seabed Hard Mineral Resources Act de 1980, un texte américain adopté sans validation multilatérale. Cette disposition contourne le processus de délivrance de licences supervisé par l’AIFM, organe dépendant de l’ONU chargé de réguler l’exploitation minière en haute mer.

Le gouvernement américain considère que ses entreprises doivent pouvoir opérer au-delà des zones économiques exclusives, en s’appuyant sur sa propre législation. Or, cette position heurte frontalement le droit coutumier international, qui repose sur le principe de patrimoine commun de l’humanité appliqué aux grands fonds marins.

Les tensions juridiques : droit national contre gouvernance globale

Les États-Unis n'ont jamais ratifié la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), signée en 1982. Pourtant, ils ont reconnu plusieurs de ses dispositions dans leurs pratiques, notamment en matière de navigation et de délimitation maritime.

Ce nouvel acte présidentiel élargit le champ de la législation américaine en dehors de ses frontières, remettant en question l'autorité de l’AIFM, dont le mandat repose sur le respect de la CNUDM. L’organe basé à Kingston, en Jamaïque, impose notamment une autorisation centralisée pour toute activité minière en haute mer, ainsi que la signature de contrats entre les opérateurs privés et le Secrétariat général. Interrogé sur cette initiative, Duncan Currie, conseiller juridique de la Deep Sea Conservation Coalition, déclare dans Newsweek : « Prendre un bulldozer contre la Convention sur le droit de la mer serait perçu avec une immense inquiétude par tout pays qui dépend de l’océan. »

Une approche bilatérale concurrente du multilatéralisme

Le décret présidentiel prévoit également l’étude d’un mécanisme de partage des bénéfices pour les projets opérés par des entreprises américaines dans des zones internationales, sans passer par les organes de l’ONU. Ce système viserait à « renforcer les partenariats avec des pays intéressés par l’exploitation responsable des minerais dans leurs juridictions nationales ».

En pratique, cela signifie que les États-Unis cherchent à établir des accords bilatéraux avec des pays du Sud global, proposant un accès à la technologie, au financement et aux débouchés commerciaux en échange de droits d’exploitation. Ce modèle s’oppose à celui de l’AIFM, fondé sur la redistribution équitable des bénéfices et la coopération scientifique ouverte.

Cette orientation vers un multilatéralisme à géométrie variable pourrait créer des zones de frictions diplomatiques, notamment avec les États membres de l’Union européenne ou du G7, favorables à une gouvernance collective des océans.

Les implications pour l’avenir du droit de la mer

Si plusieurs pays ont déjà délivré des permis d’exploration dans leurs zones économiques exclusives (comme le Japon, la Norvège ou les îles Cook), aucun État n’avait jusqu’ici officialisé une démarche d’extraction commerciale en haute mer sans validation de l’AIFM.

L’initiative américaine pourrait ouvrir la voie à une série de décisions similaires par d’autres grandes puissances, réduisant l’influence des institutions multilatérales et affaiblissant les normes communes. Dans un tel contexte, le risque d’une course anarchique à l’exploitation des fonds marins devient tangible. Dans CNN, la juriste Jessica Battle souligne : « Si chaque État décide d’appliquer sa propre lecture du droit de la mer, alors c’est l’architecture entière de la gouvernance océanique qui s’effondre. »

Il est encore trop tôt pour savoir si ce décret débouchera sur des opérations concrètes à court terme. Les défis techniques, les coûts logistiques et les incertitudes environnementales demeurent importants. Cependant, sur le plan diplomatique, la rupture est actée. La Maison Blanche assume désormais une posture fondée sur la priorité nationale, la liberté d’action et le leadership technologique, quitte à provoquer des tensions juridiques.

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Après son Master de Philosophie, Paolo Garoscio s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013. Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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