On ne commente pas une décision de justice, en l’occurrence celle qui condamne le Directeur de la Publication de Valeurs Actuelles, pour avoir publié en couverture de l’hebdomadaire une Marianne voilée. On est toutefois stupéfait de cette condamnation, si peu de temps après la mobilisation générale qui a suivi l'atroce attentat de Charlie Hebdo.
Ainsi, nous serions tous " Charlie", défilant dans toutes les villes de France, défendant à corps et à cris à la face du monde avec panache une inattaquable et légitime liberté d’expression, et simultanément nous devrions nous voiler la face (c’est le cas de le dire) devant le buste voilé de celle qui symbolise la République et dont nous sommes fiers qu'elle soit une femme !?
Charlie Hebdo-Valeurs Actuelles : une différence de traitement
La justice a forcément raison... mais comment s’expliquer cette différence de traitement : on pourrait donc représenter le Pape sodomisant un enfant ou Mahomet sous différentes formes, scandaleuses pour beaucoup, sans que cela n’offusque personne. Et même être débouté du procès qui avait été intenté à l'époque ? En revanche, aujourd'hui voiler Marianne serait une incitation à la haine raciale ? On peut détester Valeurs Actuelles, ne pas partager ses convictions, comme on peut ne pas apprécier Charlie Hebdo ce qui était mon cas et ce qui ne m’a pas empêché une seconde de défiler avec passion. Ce grand rassemblement historique qui a, au sens propre, enchanté la France et encore plus l'actuel Gouvernement serait-il en train de tourner en eau de boudin ? Aurait-il provoqué au contraire une sévérité accusatrice plus forte ? Veut-on dire qu’il faut se censurer d'avantage soi-même ?
Les Français veulent leur liberté de penser par eux-mêmes
A force de vouloir défendre, excuser, proposer, légitimer... on ne sait plus quoi ! Les Français sont finalement plus partagés que jamais. Ils ont défilé pour ce qu’ils avaient sur leur cœur mais qui n’était pas forcément ce qui motivait le voisin. Pourtant, ils ont défilé contre la censure et l’extrémisme religieux, ils ont défilé pour la République Française et pour la préserver, ils ont défilé pour plus d’autorité et moins d’une certaine tolérance, ils ont défilé pour leur "identité nationale" dans le beau sens d’une expression qui avait scandalisé ; une identité nationale dans laquelle il doit y avoir de la fierté, de l’éthique, du respect et de cet "indéfinissable" qui fait que l’on se sent Français. Mais ils brandissaient aussi leur indignation contre leurs "élites" et ils manifestaient leur mécontentement général et leurs doutes, ils voulaient aussi retrouver une certaine liberté de penser par eux-mêmes.
Une liberté d'expression à deux vitesses
Alors comment comprendre cette condamnation de Valeurs Actuelles dans la foulée ? Ne pourrait-on pas interpréter ce jugement comme une liberté d‘expression à 2 vitesses ? On a tout à fait le droit de désapprouver cette couverture et l’affichage de l’inquiétude explicite qu’elle traduit, mais il faut fermement espérer que cette condamnation ne va pas diviser encore plus une France qui ne sait plus qui elle est, et qu’on ne sait plus écouter. Cette condamnation n’est-elle pas aussi la condamnation du souffle de liberté dont le peuple a soif dans la grande tradition des lumières.