À la croisée des enjeux économiques, environnementaux et géopolitiques, une initiative venant d’une entreprise privée canadienne, relance le débat sur la gouvernance des océans. Et interroge les règles qui encadrent les ressources du domaine maritime international.
Une entreprise canadienne s’allie à Trump pour contourner le droit international des océans

Le 29 avril 2025, la société canadienne The Metals Company (TMC) a officiellement déposé une demande d’autorisation d’exploitation minière en haute mer, dans une zone du Pacifique placée hors de toute juridiction nationale. Cette démarche, portée par la filiale américaine de l’entreprise et appuyée par un décret présidentiel de Donald Trump, soulève de nombreuses interrogations sur l’équilibre entre souveraineté économique, normes internationales et protection des ressources globales.
La demande concerne l’exploitation de plus de 25 000 km² dans la zone Clarion-Clipperton, réputée pour ses gisements de nodules polymétalliques contenant des métaux critiques (nickel, cobalt, manganèse, cuivre). Ces matériaux sont au cœur des chaînes d’approvisionnement en technologies liées à la transition énergétique. En s’adressant directement aux autorités américaines, l’entreprise contourne l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), chargée de réguler l’accès aux ressources situées dans les grands fonds.
Un recours stratégique au droit américain pour éviter les lenteurs du cadre multilatéral
La procédure engagée par TMC s’appuie sur un fondement juridique ancien : la Deep Seabed Hard Mineral Resources Act, adoptée par les États-Unis en 1980. Ce texte permet à l’administration américaine de délivrer des permis d’exploration et d’exploitation dans les eaux internationales, indépendamment des règles de l’AIFM, à laquelle Washington n’a jamais adhéré.
Le choix de TMC de se tourner vers cette législation nationale plutôt que vers le cadre onusien n’est pas anodin. L’entreprise estime que le processus multilatéral n’avance pas suffisamment vite, notamment en ce qui concerne l’adoption d’un code minier applicable aux entreprises privées. Cette stratégie soulève une question plus large : un État peut-il légitimer une activité dans une zone régie par des normes collectives, en l’absence de ratification des traités en vigueur ?
Sur le plan institutionnel, l’AIFM a exprimé son inquiétude face à cette évolution. L’organisation rappelle que l’objectif du droit de la mer est de garantir une gouvernance équitable des ressources situées au-delà des juridictions nationales. Pour ses partisans, le cadre multilatéral demeure indispensable à la stabilité juridique et diplomatique des océans.
Trump relance la diplomatie des matières premières
La démarche de TMC intervient quelques jours après la signature par Donald Trump d’un décret visant à simplifier les autorisations pour l’exploitation minière sous-marine. Cette décision marque un tournant dans la politique américaine, avec un repositionnement affirmé sur les ressources non conventionnelles. Le décret invoque des arguments économiques et stratégiques : garantir l’approvisionnement des industries nationales et réduire la dépendance envers des acteurs concurrents, notamment la Chine.
Le texte met l’accent sur la sécurité nationale et affirme la volonté de créer un environnement réglementaire favorable aux entreprises désireuses de s’implanter dans les grands fonds marins. Cette orientation est cohérente avec d’autres mesures prises par l’administration Trump dans le secteur de l’énergie et des ressources stratégiques, fondées sur une logique de souveraineté économique.
La dimension diplomatique est toutefois inévitable. En s’écartant du consensus porté par l’AIFM, les États-Unis ouvrent un précédent susceptible d’être suivi par d’autres puissances, notamment dans les zones où les règles multilatérales sont encore en cours de négociation. Pour certains observateurs, cette décision pourrait relancer une forme de compétition réglementaire dans les espaces internationaux.
Réactions contrastées au sein de la communauté internationale et des ONG face à cette entreprise
La décision de TMC a provoqué des réactions critiques parmi les gouvernements et les organisations non gouvernementales. Plusieurs États membres de l’AIFM ont exprimé leur préoccupation face à ce qu’ils considèrent comme une dérive unilatérale. La Chine, en particulier, a dénoncé une atteinte au droit international et un affaiblissement des normes collectives en matière de gestion des ressources.
De leur côté, les ONG environnementales alertent sur les conséquences d’une exploitation industrielle de zones encore largement inexplorées. Elles mettent en avant le manque de données sur les écosystèmes marins profonds et les incertitudes quant à l’impact à long terme de ces activités sur la biodiversité, les cycles sédimentaires et les équilibres biologiques.
Face à ces critiques, TMC affirme que sa démarche s’inscrit dans une logique de transparence. L’entreprise promet de publier les données issues de ses campagnes d’exploration et de respecter des standards environnementaux stricts. Elle souligne également l’importance de répondre à la demande croissante en métaux indispensables à la transition énergétique, dans un contexte mondial de tension sur les approvisionnements.
Vers une reconfiguration des règles du jeu en haute mer ?
Au-delà du cas particulier de TMC, cette initiative relance un débat ancien sur la gouvernance des espaces communs. Elle interroge la capacité des institutions internationales à faire face aux évolutions technologiques et économiques, tout en garantissant un accès équitable et une protection durable des ressources.
Le cas de l’exploitation minière en haute mer pourrait préfigurer d’autres conflits à venir, autour de l’accès à des matières premières situées dans des zones juridiquement floues ou faiblement encadrées. Il pose aussi une question plus large sur l’efficacité des systèmes multilatéraux face aux stratégies nationales d’accélération industrielle.