Londres renoue avec les logiques d’intervention militaire, mais à quel prix diplomatique ? La frappe du 30 avril au Yémen relance les interrogations sur la stratégie extérieure britannique et ses conséquences pour l’ordre international.
Le Royaume-Uni au Yémen : les choix politiques d’une frappe

Le 30 avril 2025, le Royaume-Uni a lancé, pour la première fois depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, une frappe conjointe avec les États-Unis sur la capitale du Yémen. Officiellement ciblée, une infrastructure utilisée par les Houthis pour la fabrication de drones près de Sanaa. Officieusement, c’est toute la doctrine militaire et diplomatique britannique au Moyen-Orient qui est relancée. Cette participation britannique redonne une visibilité stratégique à Londres, mais expose aussi sa politique étrangère à de nouvelles critiques, notamment sur la scène internationale.
Un engagement militaire qui en dit long sur les priorités géostratégiques du Royaume-Uni
L’opération baptisée « Rough Rider », coordonnée depuis janvier 2024 par les États-Unis, visait à contenir les activités des Houthis dans la région de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Plus de 800 frappes américaines avaient déjà été menées avant que le Royaume-Uni ne décide d’y contribuer officiellement.
Pour le secrétaire d’État à la Défense John Healey, cette implication répond à une « menace persistante des Houthis à la liberté de navigation », ajoutant que « la baisse de 55 % du trafic maritime en mer Rouge a déjà coûté des milliards, alimentant l’instabilité régionale et mettant en péril la sécurité économique des familles britanniques ». Cette justification s’inscrit dans une logique de sécurisation des flux commerciaux.
Dans un contexte post-Brexit où Londres cherche à redéfinir ses leviers d’influence globale, cette décision militaire semble autant dictée par une volonté de réaffirmer sa présence internationale que par des impératifs de sécurité.
Une décision unilatérale aux résonances multilatérales
Si l’attaque n’a pas été concertée avec l’ONU ni intégrée à une coalition internationale élargie, elle renvoie à une pratique britannique assumée d’intervention ciblée hors mandat onusien. Les frappes menées par des Typhoon FGR4 avec des bombes Paveway IV ont été revendiquées par Londres comme "limitées et proportionnées", sans pour autant être accompagnées d’une évaluation précise des pertes humaines ou matérielles.
Or, selon le gouvernement de Sanaa, cette opération constitue une « agression injustifiée », motivée par « la volonté de bloquer le soutien du Yémen à la Palestine » et représente « un alignement stratégique sur le triptyque États-Unis–Royaume-Uni–Israël ». Ce positionnement britannique fait réagir au-delà du monde arabe : la Russie, la Chine et plusieurs États non-alignés ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une escalade occidentale dangereuse.
Un retour aux logiques d’intervention : héritage ou dérive ?
Loin d’être une simple réponse ponctuelle, cette participation britannique marque un retour assumé à une diplomatie de puissance fondée sur la projection militaire. Un choix qui n’est pas sans rappeler les précédents irakien, libyen ou afghan. Mais dans le cas du Yémen, le cadre légal est plus flou encore : aucune déclaration de guerre, aucune résolution de l’ONU, aucune consultation publique.
Si les autorités de Londres évoquent la défense des intérêts stratégiques britanniques et la lutte contre le terrorisme, les ONG internationales comme Amnesty International et Human Rights Watch pointent le risque élevé de violations du droit humanitaire, notamment après la frappe américaine qui aurait tué 68 migrants africains le 28 avril à Saada.
Un dilemme diplomatique pour les alliés européens
L’engagement britannique au Yémen soulève également des interrogations au sein même de l’Union européenne. Officiellement, Bruxelles n’a pas condamné l’opération. Mais plusieurs chancelleries européennes redoutent un précédent qui banaliserait les frappes préventives dans un environnement de tensions exacerbées.
En France, la classe politique observe avec prudence cette évolution. Si l’Élysée n’a pas encore réagi officiellement, certains députés de l’opposition ont déjà dénoncé un « retour à l’unilatéralisme anglo-saxon » et réclament un débat sur la cohérence des positions européennes au Moyen-Orient.
Ce positionnement du Royaume-Uni pourrait ainsi raviver les tensions entre approche atlantiste et vision multilatérale du droit international. Il met également à l’épreuve la solidarité transatlantique au moment où les États-Unis, affaiblis par des crises internes, comptent davantage que jamais sur leurs partenaires pour porter leurs options militaires.