Un appareil stratégique, une planification technique controversée, et des interrogations sur la gouvernance des projets d’équipement de l’État. Le retour en Suisse du nouveau jet du Conseil fédéral révèle des décalages entre ambition politique et contraintes opérationnelles.
Suisse : le jet privé du Conseil fédéral en exil

Le 16 avril 2025, le tout nouveau jet du gouvernement suisse, un Bombardier Global 7500, a atterri en Suisse après avoir été bloqué pendant près d’une semaine en Turquie à la suite d’un incident technique. Prévu pour remplacer deux appareils plus anciens, cet avion de 117 millions de dollars (environ 108 millions d’euros) a néanmoins dû être transféré sur une base militaire à son retour, faute d’infrastructure adaptée à Berne.
Un retour marqué par un incident technique en Turquie
Le Bombardier Global 7500 avait été immobilisé le samedi 12 avril 2025 à Ankara, après qu’une diminution de l’accélération au moment du décollage ait été détectée par l’équipage. L’appareil, livré à la Suisse deux mois plus tôt, a été soumis à une inspection complète par des techniciens du constructeur. Les résultats n'ont révélé aucune défaillance technique majeure, mais le vol de retour n’a été autorisé qu’après des contrôles approfondis, afin de garantir la sécurité de l’appareil et de ses passagers.
Pendant cette période d'immobilisation, un autre avion gouvernemental a été mobilisé pour permettre au conseiller fédéral Ignazio Cassis de rentrer en Suisse. Ce recours logistique a ravivé les critiques concernant le coût et la gestion de la flotte aérienne de la Confédération, alors que la mise en service du Bombardier était précisément censée optimiser les déplacements des membres du Conseil fédéral.
Inadéquation avec l’aéroport de Berne : une contrainte connue dès l’achat
Le retour du jet n’a pas marqué la fin des difficultés. Dès son arrivée sur le territoire suisse, il a été constaté que l’aéroport de Berne-Belp, qui héberge habituellement les avions du Conseil fédéral, n’est pas en mesure d'accueillir le Bombardier Global 7500 dans des conditions opérationnelles normales.
En effet, la piste de Berne est trop courte pour permettre au jet de décoller à pleine charge. Par ailleurs, aucun des hangars existants ne peut abriter un appareil de cette envergure. En conséquence, l'avion a été transféré à la base militaire de Payerne, à environ 76 kilomètres de la capitale, où il est désormais stationné.
L’armée, qui gère l’exploitation de l’appareil, a confirmé que des travaux sont en cours à Berne pour la construction d’un nouveau hangar dédié. Sa mise en service est prévue dans un délai de deux ans. En attendant, les vols devront être organisés à partir de la base militaire, impliquant des déplacements supplémentaires pour les membres du gouvernement et leurs équipes.
Un avion suisse stratégique pour moderniser la flotte fédérale
L’acquisition du Bombardier Global 7500 s’inscrit dans une logique de renouvellement de la flotte aérienne fédérale. Il remplace deux appareils plus anciens, un Falcon 900EX et un Cessna Citation Excel, et permet des vols intercontinentaux sans escale grâce à une autonomie d’environ 13 000 kilomètres. L’appareil peut accueillir jusqu’à 19 passagers et comprend un système de protection contre les missiles, conformément aux exigences de sécurité établies par les forces armées.
Le coût total du programme d’acquisition dépasse les 100 millions de francs suisses. Ce montant intègre l'achat de l’appareil, la formation des équipages, l’entretien technique, les pièces de rechange, ainsi que l’adaptation des infrastructures au sol. Si le budget a été validé par les autorités fédérales, la succession d’obstacles logistiques et techniques depuis l’arrivée du jet soulève des doutes sur l’évaluation initiale des besoins et des contraintes.
Une planification remise en question
Le choix d’un modèle aux dimensions incompatibles avec les installations existantes a surpris plusieurs observateurs. Dès février 2025, la presse spécialisée soulignait que le Global 7500 ne pourrait ni stationner à Berne-Belp, ni utiliser ses pistes en condition standard. La confirmation de cette limite structurelle au moment de la mise en service renforce les interrogations sur la coordination entre les services techniques, l’armée, et les décideurs politiques.
Interrogée sur ces choix, la porte-parole de l’armée a indiqué que la base militaire de Payerne est actuellement la seule option opérationnelle, en attendant l’achèvement des travaux à Berne. Cette situation impose néanmoins des contraintes organisationnelles durables sur la mobilité des autorités fédérales.
Sur le plan institutionnel, aucune déclaration officielle n’a, à ce stade, reconnu une erreur d’évaluation. Toutefois, plusieurs élus de l’Assemblée fédérale ont évoqué la nécessité d’un débat sur les conditions de planification des grands investissements publics, en particulier dans le domaine de la sécurité et des transports officiels.
Un investissement stratégique sous observation
L’introduction de ce nouvel appareil devait renforcer l’autonomie du Conseil fédéral dans ses déplacements, offrir une réponse aux besoins croissants de mobilité diplomatique et sécuriser les trajets dans un contexte international de plus en plus tendu. Sur le plan technique, le Bombardier Global 7500 remplit pleinement ces fonctions.
Mais la gestion de sa mise en service, la non-compatibilité avec l’aéroport de Berne, et les coûts indirects liés à sa maintenance et son stationnement posent aujourd’hui un problème de méthode. À l’échelle budgétaire, l’impact reste limité au regard des dépenses fédérales globales. En revanche, en matière de gouvernance, cet épisode expose les tensions fréquentes entre objectifs politiques ambitieux et préparation opérationnelle sur le terrain.