Agnès Saal n’a pas vraiment démissionné

Cropped Favicon.png
Par Eric Verhaeghe Publié le 4 mai 2015 à 12h31
Taxis Agnes Saal Ina Demission

Après les révélations sur ses frais de taxi, Agnès Saal a jeté l’éponge. Elle quitte ses fonctions de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). On en sort un peu frustré d’ailleurs, parce que la décision qu’elle a prise d’abandonner son poste nous prive peut-être d’autres révélations sur ses turpitudes.

Agnès Saal appartient à cette classe de petits marquis de gauche qui ont fait ou font carrière en se politisant et en rendant des services aux élus dans le sillage de qui ils s’inscrivent. Cette technique leur permet de rebondir d’élection en élection, jusqu’à imaginer que la machinerie publique dont ils sont les dirigeants se résume à un jeu d’obstacles déconnecté de l’intérêt général, jusqu’à être persuadés que la machine est à leur service et non l’inverse.

Il existe une rhétorique amusante, consubstantielle à l’étiquette de cette Cour. Il est de bon ton d’y dénoncer les petits patrons poujadistes mais de courber l’échine devant les grands du CAC 40 qui pourraient un jour vous recruter. Il est de bon ton d’y fustiger RMC (qu’on écoute dans le taxi, occupation essentielle quand le chauffeur est en vacances) et de n’écouter que Patrick Cohen qui dit si bien tout haut ce que les gens honnêtes se répètent chaque soir dans les salons. Il est obligatoire d’avoir en horreur le Front National qui est poujadiste et populiste mais de ne jamais franchir le périphérique ou alors seulement avec une moue de dégoût et en prenant soin de bien appeler tous ses copains pour leur annoncer triomphalement qu’on l’a fait. Il est tout aussi obligatoire de défendre becs et ongles la laïcité et l’école publique, mais d’inscrire ses enfants dans une école privée quand on n’a pas réussi à se trouver un appartement pas trop cher dans l’hypercentre parisien. Il faut proscrire le racisme et l’antisémitisme bien sûr, vomir tous ceux qui veulent défendre l’identité nationale, mais on interdit à ses enfants d’aller dans les quartiers difficiles, de prendre le métro après 20 heures, et on conseille à sa fille de changer de trottoir quand un groupe de jeunes immigrés arrive. Et, bien entendu, il faut dénoncer tous ces salauds de droite qui se remplissent les poches sur le dos de pauvres travailleurs opprimés, mais ne surtout pas se gêner pour faire payer le taxi de son enfant par le contribuable.

Longtemps à l’abri des regards, ces petits travers posent de plus en plus problème à l’opinion publique. En phase de disette budgétaire, plus personne ne peut admettre qu’un haut fonctionnaire bénéficie d’une voiture de fonction, d’un chauffeur à demeure, et qu’il se prélasse malgré tout dans des taxis pour une somme équivalent à 4.000 euros par mois. Surtout s’il a accédé à son poste de direction en surfant sur les différents ministres socialistes qui l’ont promu au nom du redressement dans la justice et de la lutte contre la finance.

Agnès Saal a quitté son poste, et son geste est présenté comme une démission. Il faut bien entendu expliquer au public qu’Agnès Saal ne tardera pas à retrouver un poste de fonctionnaire où elle sera payée entre 6.000 et 10.000 euros nets chaque mois, pour une charge de travail très incertaine. On aimerait être plus précis sur les chiffres, mais la haute fonction publique, qui est très exigeante sur la transparence des rémunérations dans le secteur privé, maintient un black-out complet sur les rémunérations publiques.

Cette impunité est l’une des explications majeures du déficit public qui étouffe la croissance en France. Il n’existe aujourd’hui aucun mécanisme qui incite les hauts fonctionnaires à placer la dépense publique sous contrôle. Les nominations et les carrières se font selon des critères très politiques (ou amicaux) qui excluent totalement les aspects financiers. L’attitude d’Agnès Saal en est la meilleure preuve.

Dans la désincitation des hauts fonctionnaires à maîtriser les dépenses, la question de la sanction se pose. Lorsqu’un haut fonctionnaire est pris en défaut, son seul risque est d’être mis dans un placard doré. Est-ce suffisant pour inciter une caste à réviser ses fondamentaux ? Dans la logique de mise sous contrôle des dépenses, il faut évidemment savoir se poser la question de la réforme de la haute administration, sous ce double aspect. Premier aspect : comment dépolitiser les carrières et inciter les décideurs publics à bien gérer ? Deuxième aspect : ne faut-il pas les « sortir » du statut de la fonction publique et prévoir leur licenciement pur et simple lorsque leur gestion n’est pas à la hauteur des attentes collectives ? Tôt ou tard, la question se posera.

Article publié initialement sur le blog d'Eric Verhaeghe

Cropped Favicon.png

Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

Suivez-nous sur Google News PolitiqueMatin - Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités.

Aucun commentaire à «Agnès Saal n’a pas vraiment démissionné»

Laisser un commentaire

Les Commentaires sont soumis à modération. Seuls les commentaires pertinents et étoffés seront validés. - * Champs requis