Caisse des Dépôts : quand l’État actionnaire multiplie les faux pas

La CDC – Caisse des Dépôts et Consignations – est l’une des plus anciennes institutions financières publiques au monde. Bras financier de l’État, elle a à son actif de belles réussites, mais aussi quelques erreurs de parcours. Dernier en date : la gestion du groupe Suez depuis l’OPA de Veolia en 2022.

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By Daniel Rolland Published on 18 avril 2025 11h19
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Paris, France - October 2022 : Headquarters of the Caisse des Depots in Paris, France - © PolitiqueMatin

C’est au ministre des Finances du roi de France Louis XVIII que l’État doit la création de la Caisses des Dépôts et Consignations (CDC) en 1816. Son rôle : gérer les participations de l’État dans la vie économique du pays et gérer l’épargne des Français pour la faire fructifier. En plus de deux siècles d’existence, la CDC a activement rempli son rôle. Mais elle et ses filiales ont récemment connu quelques ratés et des « affaires » venues entacher son bilan. Le dernier exemple en date concerne l’un des joyaux de l’industrie française, le groupe Suez, spécialiste de la gestion de l’eau et du traitement des déchets, victime d’une OPA orchestrée par Veolia en 2022. Depuis le départ contraint de sa PDG Sabrina Soussan en janvier dernier, Suez attend la nomination d’une nouvelle équipe dirigeante.

Affaires internes

Le groupe CDC réunit la Caisse des Dépôts et de nombreuses filiales, bien connues des Français : La Poste (66% du capital), GRTgaz (39%), RTE (29,9%), Suez (20%), Transdev (66%) ou encore Bpifrance (50%). En juillet 2023, cette dernière – alors dirigée par Éric Lombard, l’actuel ministre des Finances – a défrayé la chronique, avec affaire des soupçons de prise illégale d’intérêtsi planant sur quelque 200 collaborateurs de la banque publique, dont son directeur général Nicolas Dufourcq. Les locaux de Bpifrance font alors l’objet d’une perquisition du Parquet national financier (PNF) afin de comprendre comment et pourquoi ces collaborateurs ont pu « massivement investir » dans le fonds Bpifrance Entreprises 1 qu’ils mettaient eux-mêmes en place. Outre les questions déontologiques que l’opération soulève, c’est tout le fonctionnement de Bpifrance qui devient alors sujet à critique. La maison-mère – la CDC donc – goûte peu cette publicité : le mélange des genres ternit le blason des institutions publiques censées incarner l’intérêt général. Plus récemment, en août 2024, la CDC elle-même a été secouée par un petit scandale interne, avec la vraie-fausse démission de son nº2, Olivier Sichel, probable futur directeur général de la CDC. Alors directeur général délégué de l’institution publique, il démissionne et est réembauché le lendemain, au même poste, mais avec un contrat de travail de droit privé plus avantageux.

Sur le plan financier, l’institution se porte bien (selon les chiffresii de 2023, en attendant les résultats de 2024). Mais ses pratiques sortent parfois du cadre. En novembre 2024, d’anciens dirigeants de la CDC – Augustin de Romanet, Jean-Pierre Jouyet et Laurent Vigier – se retrouvent sur le banc des accusésiii pour détournement de fonds publics, favoritisme et recel de ces infractions, via par exemple de juteux contrats octroyés sans appel d’offres à des proches ou des connaissances, comme les criminologues et « consultants Justice » Alain Bauer, régulièrement invité sur les plateaux télés, ou Xavier Raufer. Dans cette affaire, la sentence est tombée le 5 mars dernier, avec des condamnationsiv pour favoritisme et recel.

Suez, ou l’art (difficile) d’être minoritaire

Et puis, au-delà des « affaires », il y a les cas de gestion problématique. C’est le cas du « dossier Suez », le nº2 français de la gestion de l’eau et des traitements des déchets. Aujourd’hui, la CDC est actionnaire à hauteur de 19% de ce groupe amputé de plusieurs morceaux lors de l’OPA finalisée par Veolia en 2022. Deux ans plus tôt, les grandes manœuvres commencent entre le nº1 du secteur – Veolia donc – qui souhaite mettre la main sur le nº2 – Suez. « Depuis la fin du mois d’août, le premier est lancé à la poursuite du second, armé d’un fusil à double détente : le rachat des parts de son concurrent détenu par Engie, d’abord, la menace d’une OPA sur le reste des actions ensuite. Que cherche Veolia ? Pourquoi Suez résiste ? Que peut faire l’État ? », se demande alors Le Parisienv. La presse se passionne pour le feuilleton de ce « mariage XXL, sans consentement mutuel ». L’État français regarde l’affaire sans pouvoir réellement intervenir, tout en réclamant que l’opération ne soit pas préjudiciable aux emplois et aux consommateurs, avec des garanties sur le plafonnement du tarif de l’eau. L’affaire mobilise les hautes sphères de la République qui demandent finalement à la CDC de participer : initialement observatrice des négociations en février 2021 (de par son statut d’actionnaire de Véolia), la CDC hérite dans un premier temps de 10% du « nouveau Suez » en avril 2021 au moment où se dessine l’accord final. Ce sera finalement 20% un mois plus tard, au côté des fonds d’investissement Meridiam et GIP, pour permettre à l’Etat de garantir que la promesse de plafonnement sera tenue et les emplois préservés.

Entre 2022 et fin 2024, une équipe dirigée par la PDG Sabrina Soussan prend les rênes de l’entreprise. Malgré sa position minoritaire, la CDC tente de garder le groupe sous contrôle avec, en premier lieu, Frederick Jeske-Schoenhoven au poste de vice-président exécutif, en charge de la Stratégie et du Développement durable. En interne, cette nomination passe mal, car Jeske-Schoenhoven est connu pour être le beau-frère d’Antoine Saintoyant, le directeur des participations stratégiques de la CDC, qui est donc directement en charge de Suez. Les deux hommes se connaissent depuis les bancs de l’ENAvi.

Mais le nouveau Suez, en dépit de cette surveillance renforcée de la CDC, a du mal à trouver ses marques. À la fin de l’été 2024, Sabrina Soussan devient de plus en plus contestée en internevii. La CDC prend les devants et sacrifie le soldat Jeske-Schoenhovenviii. Peine perdue, Sabrina Soussan sera poussée elle aussi à la démission en décembre dernier. Désormais, le groupe Suez attend une nouvelle équipe dirigeante, en fonction des propositions que lui feront des chasseurs de têtes, en particulier pour le poste de directeur général. Reste à savoir si l’État s’obstinera à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise ou s’il tirera les leçons du passé récent et lâchera un peu de lest pour laisser Suez reprendre son envol.

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