Alors que le gouvernement martèle la nécessité de renforcer les capacités militaires du pays, il semble avoir trouvé une nouvelle ressource pour financer l’effort de défense : l’épargne des Français. Après avoir abandonné l’idée d’un livret dédié, l’exécutif veut mobiliser les contrats d’assurance-vie et l’épargne-retraite pour financer l’industrie de l’armement.
Défense : l’Etat va-t-il piocher dans votre assurance vie ?

Depuis plusieurs mois, le gouvernement insiste sur la nécessité d’un réarmement accéléré pour faire face aux tensions géopolitiques et aux incertitudes stratégiques européennes. Le budget de la défense, actuellement fixé à 50,5 milliards d’euros, doit atteindre 100 milliards d’euros d’ici 2030, selon les projections de l’exécutif.
Un effort militaire nécessaire, une gestion budgétaire discutable
Personne ne conteste l’impérieuse nécessité de renforcer la défense française. Entre la guerre en Ukraine et l’instabilité croissante internationale, la France doit moderniser son outil militaire et garantir son autonomie stratégique. L’augmentation du budget des armées s’inscrit d’ailleurs dans une dynamique européenne plus large, alors que l’Allemagne, la Pologne et d’autres membres de l’Union européenne revoient également leurs dépenses militaires à la hausse.
Mais si l’objectif est justifié, le mode de financement pose question. En théorie, l’État dispose déjà des ressources nécessaires pour renforcer son appareil militaire. Avec une pression fiscale représentant près de 45 % du PIB et des recettes dépassant 1 500 milliards d’euros par an, la France pourrait théoriquement dégager une enveloppe suffisante pour la défense sans solliciter les épargnants.
Alors que les dépenses publiques atteignent des sommets inégalés, l’exécutif peine à faire des choix stratégiques et à prioriser les investissements.Plutôt que d’effectuer des arbitrages budgétaires, le gouvernement semble préférer une solution de facilité : demander aux Français de contribuer encore davantage, cette fois via leur épargne.
L’assurance-vie et l’épargne-retraite : une manne financière trop tentante
L’assurance-vie représente aujourd’hui 2 000 milliards d’euros d’encours et connaît une collecte mensuelle de 3 à 4 milliards d’euros. L’épargne-retraite, bien que plus modeste avec ses 260 milliards d’euros, constitue également une source de financement stable et abondante. Plutôt que d’imaginer un impôt supplémentaire, le gouvernement préfère donc orienter ces flux vers des placements en faveur de l’industrie de la défense.
Le mécanisme envisagé repose sur la création de fonds dédiés sous forme d’unités de compte, intégrés aux contrats d’assurance-vie et d’épargne-retraite. Ces fonds permettraient d’investir dans les grandes entreprises de défense comme Dassault Aviation, Nexter, MBDA ou Thales, mais aussi dans des PME et ETI du secteur. Le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, assure que cette solution permettrait d’attirer des capitaux privés sans alourdir la dette publique.
Cette initiative repose cependant sur un pari incertain : celui d’un engagement spontané des Français. Contrairement aux obligations d’État qui offrent une rémunération fixe, les fonds dédiés à la défense présentent un risque inhérent, lié aux fluctuations du marché boursier et à la rentabilité des entreprises du secteur.
Ensuite, cette mobilisation de l’épargne privée soulève une question plus politique : pourquoi l’État, garant de la sécurité nationale, ne finance-t-il pas lui-même cet effort ? Recourir à l’épargne des Français revient à privatiser une partie du financement de la défense, en faisant reposer sur les citoyens une responsabilité qui devrait relever exclusivement de l’État.
Un précédent qui interroge sur les choix économiques de l’État
L’idée d’utiliser l’épargne nationale pour financer des infrastructures stratégiques n’est pas nouvelle. Par le passé, l’État a déjà fait appel aux citoyens pour financer de grands projets, à travers des emprunts nationaux ou des obligations dédiées. Mais dans le cas présent, il ne s’agit pas d’un emprunt temporaire, mais bien d’une stratégie durable visant à flécher les investissements des ménages vers un secteur considéré comme prioritaire.
Ce choix s’inscrit dans une tendance plus large où l’État délègue progressivement certaines de ses responsabilités financières aux citoyens. On l’a vu avec le financement des retraites, où les dispositifs d’épargne individuelle prennent une place croissante face aux régimes obligatoires en difficulté. On le voit désormais avec la défense, où l’État n’assume plus seul son rôle de garant de la souveraineté nationale. Pourquoi l’État, qui perçoit déjà plus de 1 500 milliards d’euros de recettes fiscales chaque année, ne peut-il pas dégager des ressources suffisantes sans puiser dans les économies des ménages ?