Réforme du droit aérien : les passagers sacrifiés par l’UE

Dans une indifférence quasi totale, Bruxelles prépare un recul historique des droits des passagers aériens. Sous la pression des compagnies, la réforme du droit européen tourne le dos aux consommateurs qu’elle est censée protéger.

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By Grégoire Hernandez Published on 30 avril 2025 11h00
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Réforme du droit aérien : les passagers sacrifiés par l’UE - © PolitiqueMatin

Un vol retardé de 4 heures ? Plus d’indemnisation. Un retard de 8 heures ? Toujours rien. Bientôt, le droit aérien européen ne protégera plus que les mieux informés… et les plus patients.

Bruxelles face aux consommateurs : un silence embarrassant

Le règlement 261/2004, en vigueur depuis plus de vingt ans, garantissait jusqu’ici une indemnisation automatique dès trois heures de retard. Une avancée concrète, visible, pour des millions de passagers européens. Mais la réforme portée à Bruxelles prévoit un changement de cap brutal : le seuil de déclenchement passerait de 3 à 5 heures, voire 9 heures selon les cas. Or, les données sont claires : "l’essentiel des retards de vols se situe entre 2 et 4 heures", rappellent les dix associations de consommateurs.
Résultat : 75 % des passagers lésés seraient privés de toute compensation. Le texte impose par ailleurs une procédure proactive : les consommateurs devraient désormais réclamer leur indemnisation dans un délai de six mois, au lieu de la recevoir automatiquement. Une exigence qui s’ajoute à un système déjà opaque, alors que seule une minorité de voyageurs connaît aujourd’hui ses droits.

Ce changement ne tombe pas du ciel. Il est directement soutenu par le lobby Airlines for Europe, représentant les grandes compagnies. Avec l’appui actif de la présidence polonaise du Conseil, la réforme avance sans débat public, sans audition citoyenne, et dans l’opacité la plus totale. Le texte prévoit également de revoir la définition des "circonstances extraordinaires", élargissant ainsi les cas où les transporteurs sont exonérés de toute responsabilité.
Sur les montants aussi, le barème évolue à la baisse. Il faudrait désormais 9 heures de retard pour obtenir 400 euros sur un vol intra-UE, et 12 heures pour toucher 600 euros sur un vol de plus de 6 000 kilomètres. Les vols de moins de 3.500 kilomètres resteraient indemnisés à 250 euros, mais seulement après 5 heures d’attente. Un système qui décourage la réclamation, tout en donnant un feu vert aux retards non indemnisés.

Droit aérien : une Europe plus proche des lobbies que des citoyens

Ce recul réglementaire intervient alors que les compagnies aériennes enregistrent des bénéfices record, comme le rappellent les associations. L’ironie n’échappe à personne : au lieu d’actualiser les montants pour suivre l’inflation, comme le prévoit la convention de Montréal, Bruxelles envisage… de les réduire. "Les montants ne sont pas actualisés depuis plus de 20 ans", dénonce Anaïs Escudié, fondatrice du site RetardVol, interrogée par BFM Business.
Pour les associations signataires, dont l’UFC-Que Choisir ou la CLCV, cette réforme revient à institutionnaliser la faiblesse du consommateur face à des transporteurs surpuissants. Elles dénoncent une "prime à la piètre qualité", attribuée aux compagnies qui maintiennent leurs retards, sans compensation à la clé.

Le Parlement, le Conseil et la Commission doivent encore s’accorder sur le texte final. Mais le signal est déjà envoyé. En acceptant une réforme dictée par des intérêts industriels, l’Union européenne risque de perdre encore un peu plus de la confiance des citoyens qu’elle prétend défendre. Le droit aérien n’est qu’un domaine parmi d’autres, mais il touche directement des millions de personnes, dans leur quotidien.
En sabordant l’un des rares droits concrets acquis par les passagers, Bruxelles alimente elle-même le soupçon d’une Europe technocratique, éloignée du terrain, et bien plus soucieuse de plaire aux lobbies que de protéger les usagers.

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