Entre Juppé et Fillon, les kilos n’ont pas le même poids

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Par Ludovic Grangeon Modifié le 24 novembre 2016 à 11h44
Balance
17 %Actuellement, dans une équipe de 10, l'absence d'une personne entraîne une perte de 17% d'efficacité.

Entre Juppé et Fillon, les kilos n’ont pas le même poids : 500 000, c'est beaucoup moins que 300 000, contre les apparences, car ce ne sont pas du tout les mêmes.

Dans les débats des primaires présidentiels, la passion prend une telle place qu’on prête plus d’attention aux observations de l’adversaire qu’à la lecture des propositions du candidat lui-même. Ces déformations regrettables jettent un brouillard détestable sur la vie démocratique avec la multiplication d’arguments au-dessous de la ceinture. L’agressivité inutile d’Alain Juppé a gravement nui à la clarté du débat. Les emplois en moins de Fillon se retrouvent dans d'autres dispositifs, au contraire de ceux de Juppé, qui sont des suppressions sèches, sans redéploiement.

Des problèmes à gérer au sein de la police

De plus, entre Juppé et Fillon, le nombre de postes de fonctionnaires n’est pas l’indicateur du problème. Un simple exemple : la plupart des équipes de police et de gendarmerie fonctionnent aujourd’hui avec des matériels techniques dérisoires, souvent un seul véhicule pour 8 ou 10 policiers, quand il n’est pas en panne, et des armes inadaptées. Les gendarmes sont limités dans leurs tournées en raison de restrictions drastiques de carburant pour faire des économies. Recruter actuellement des effectifs supplémentaires peut aider ou encombrer car les services sont tellement surchargés qu'ils n'ont pas le temps d'intégrer correctement de nouveaux éléments. La priorité des matériels est plus forte et tout de suite. Les équiper correctement, comme le dit Fillon, doublera leur efficacité à effectif constant. Depuis 20 ans, on souligne que leur temps est gaspillé par de la paperasse qui peut être accomplie par des agents administratifs. Le recrutement de nouveaux types d’agents serait donc plus opportun dans une meilleure organisation. Enfin, la proposition de Juppé de recruter 10 000 policiers, si elle est tenue, ne manquera pas de s'étaler sur plusieurs années, sans compter les problèmes de formation. Le malaise actuel de la police avec sa hiérarchie montre que les patrons de la sécurité sont très loin du management moderne, s'ils savent ce que ça veut dire.

... Au sein des hôpitaux aussi

Dans les hôpitaux, les malades ne sont pas aux 35 h. Ainsi que le dit l’organe marxiste « Révolution », le passage aux 35 h a multiplié les désorganisations des services, les équipes incomplètes et une surcharge continue des personnels, des journées de travail de 12 h sans interruption, aggravées par une logique comptable qui a introduit la lourdeur là où il fallait être réactif. L’espérance de vie en est diminuée pour les personnels, et les risques de faute professionnelle augmentent. Les absences du service sont espacées et il faut reprendre les consignes à chaque reprise de service, ce qui entraine des pertes de productivité colossales en temps et en méthode. Les regroupements d’hôpitaux ont allongé les temps de déplacement, les incidents de santé et aggravé les déserts médicaux, tout en créant des monstres dont les frais de fonctionnement sont très lourds. Les aléas réguliers du vaisseau amiral l'Hôpital Georges Pompidou en attestent. Dans une équipe de travail de 10 personnes, l’absence d’une personne n’entraine pas une perte de 10% mais de 17% d’efficacité. Les derniers travaux internationaux de l’Université McGill du Quebec sur les apports des 35 h en France ont démontré qu’il n’y en avait aucun.

Des suppressions d'emplois

L’approche comptable et administrative de Juppé visera la suppression effective de 300 000 hommes et femmes au travail pour maintenir le reste en place sans oser y toucher, et donc sans rien réformer du tout. Contrairement aux apparences, les suppressions de Juppé risquent de frapper plus durement les services que les non-recrutements de Fillon, parce que ce seront des licenciements durs sur une réorganisation molle, avec une vision comptable, sans plus. Fillon supprime moins de postes en annonçant un redéploiement de 500 000 avec réorganisation, alors que Juppé en annonce 300 000, mais sans changer un dispositif de travail devenu insupportable, ce qui l'aggravera encore. La vision de Juppé rejoint parfaitement celle de Martine Aubry sur des entreprises organisées comme en 1950, sans parler du télétravail, phénomène bientôt majoritaire, quasiment ignoré malgré son poids.

Il est étonnant de parler de "taylorisme" alors que Taylor lui-même, dans une audition solennelle du 25 janvier 1912 à la Chambre américaine des Représentants, n'a cessé de démontrer et d'insister sur la priorité du "mieux-être" au travail par rapport au "combien", pour tout travailleur. Sur la durée du travail, rappelons que le problème est moins les 35 h que la désorganisation du travail qu’elles engendrent avec en plus des réglements totalement inadaptés puisqu'on n'a pas changé les horaires. Avec les RTT et les finasseries administratives, c’est toujours le manque d’une personne qui empêche le service ou l’équipe de fonctionner correctement, dans les mairies, les hôpitaux, et tous les services publics. Cette complexité entraine une surcharge permanente des personnels en place qui engendre d’autres dysfonctionnements. Définir une durée nette soulage au contraire l’équilibre des tâches et améliore la solidarité des services.

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur.Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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