Portée par des impératifs de santé publique, la mise à jour du Nutri-Score devait être une simple adaptation technique. Elle s’est pourtant transformée en un véritable bras de fer au sein du gouvernement français et dans les cercles européens.
Nutri-Score : le gouvernement l’adopte enfin, malgré des avis controversés

Après plus d’un an de débats internes, le gouvernement français a validé, le 14 mars 2025, la mise à jour du Nutri-Score. Ce système de notation nutritionnelle, introduit en 2017, vise à orienter les consommateurs vers des choix alimentaires plus sains en classant les produits de A (favorable) à E (défavorable). La nouvelle version, plus stricte sur les teneurs en sucres, en sel et en graisses saturées, s’aligne sur les dernières recommandations des experts en santé publique.
Un gouvernement partagé entre impératif de santé et protection des filières agroalimentaires
La validation du Nutri-Score 2.0 a mis en lumière les clivages au sein du gouvernement. D’un côté, la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, et le ministre de l’Économie, Éric Lombard, ont soutenu une mise en œuvre rapide du nouveau système, insistant sur son rôle clé dans la prévention de l’obésité et des maladies cardiovasculaires. Pour eux, la réforme du Nutri-Score répond à une urgence de santé publique et s’inscrit dans une logique de transparence pour le consommateur.
De l’autre, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, s’est montrée bien plus réticente. Invoquant les conséquences économiques pour certaines filières, elle a retardé la signature de l’arrêté en réclamant des ajustements pour préserver les produits traditionnels français. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, plusieurs députés issus de territoires ruraux ont relayé ces inquiétudes, soulignant que des produits comme le fromage AOP, l’huile d’olive ou encore la charcuterie artisanale pourraient être injustement pénalisés.
Face aux tensions, le Premier ministre a joué la carte du compromis. Si l’arrêté a finalement été signé, un délai de deux ans a été accordé aux industriels pour appliquer les nouvelles règles, le temps d’envisager d’éventuelles corrections. Un comité interministériel a également été mis en place pour surveiller les impacts économiques et s’assurer que le Nutri-Score 2.0 ne désavantage pas de manière excessive certaines productions locales.
Le débat autour du Nutri-Score sous influence des lobbys industriels
Le Nutri-Score, bien qu’adopté sur une base volontaire par de nombreuses marques, reste un sujet de tensions avec l’industrie agroalimentaire. Plusieurs grands groupes, notamment dans le secteur des produits sucrés et laitiers, se sont mobilisés pour retarder son application ou en atténuer les effets.
Les représentants du secteur mettent en avant une distorsion de concurrence : alors que certaines entreprises françaises s’efforcent de reformuler leurs recettes pour améliorer leur score, des produits importés qui ne sont pas soumis au même niveau d’exigence continueraient d’inonder le marché. Cette critique est particulièrement reprise par les syndicats agricoles, qui dénoncent un système qui, selon eux, favoriserait l’ultra-transformation au détriment des savoir-faire artisanaux.
Sous pression, plusieurs élus ont plaidé pour une meilleure prise en compte de la qualité des produits, indépendamment de leur seule composition nutritionnelle brute. Cette position a trouvé un écho favorable auprès de certains ministères, retardant encore la mise en œuvre du Nutri-Score 2.0.
Un enjeu européen aux implications diplomatiques
La réforme du Nutri-Score ne se limite pas aux frontières françaises. Elle s’inscrit dans un débat plus large sur l’harmonisation des systèmes d’étiquetage alimentaire en Europe. Si plusieurs pays, dont l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse, ont déjà adopté la nouvelle version, d’autres États, à commencer par l’Italie, s’y opposent farouchement.
Rome voit dans le Nutri-Score une menace pour son patrimoine gastronomique et accuse la France d’imposer un modèle défavorable à des produits emblématiques comme le parmesan ou l’huile d’olive extra-vierge. Ce rejet s’inscrit dans une bataille plus large au sein des institutions européennes, où plusieurs États tentent d’imposer des alternatives plus favorables à leurs propres industries alimentaires.
La position française est délicate. En tant que pionnière du Nutri-Score, la France est scrutée de près et son hésitation à appliquer rapidement la réforme affaiblit son leadership sur le dossier. À Bruxelles, le débat est loin d’être clos, et la question de rendre ce type d’étiquetage obligatoire à l’échelle de l’Union reste un sujet de contentieux majeur entre États membres.