Près d’un mois après sa nomination en tant que Premier ministre, le gouvernement de Gabriel Attal est enfin au complet et se compose d’une trentaine de ministères. Pas de grande surprise si ce n’est la nomination de Nicole Belloubet qui succède à Amélie Oudéa-Castéra au 5ᵉ portefeuille plus important : l’Éducation nationale. Une nomination inattendue et qui semble bien aux antipodes de la trajectoire qu’avait prise ce ministère ces derniers mois.
Remaniement : (mauvaise ?) surprise à l’Éducation nationale
Remaniement : de nouvelles entrées plutôt politiques
Gabriel Attal et Emmanuel Macron avaient tous deux promis un « gouvernement resserré » suite à la démission d'Élisabeth Borne. La liste complète des nominations à l'exécutif indique pourtant pas moins de 35 ministères. Le nouveau gouvernement, outre les changements de sièges, semble bien être composé d'une ribambelle de noms inconnus pour une grande partie des Français et dont la grande majorité n'est pas issue de la société civile, mais plutôt de la politique. Parmi ceux qui se distinguent figure Frédéric Valletoux, qui prend la tête du ministère de la Santé. Ancien maire de Fontainebleau, député Horizon de la Seine-et-Marne, ce dernier est connu du grand public pour avoir été à la tête de la Fédération hospitalière de France (FHF) pendant plus de dix ans. Une nomination très politique, qui est loin de faire l'unanimité auprès des syndicats de médecins libéraux. La SML voit en cette dernière « une gifle lancée aux médecins », faisant ainsi référence au précédent vœu du nouveau ministre de rétablir l'obligation de garde dans le but de lutter contre les déserts médicaux.
Le Logement, secteur qui s'engouffre dans une crise sans précédent, et dont le ministère est pourtant resté vacant depuis la nomination de Gabriel Attal, sera désormais dirigé par Guillaume Kazbarian, député de la majorité présidentielle depuis 2017. Ce dernier a acquis une certaine notoriété suite à ses prises de positions tranchées qui ont provoqué l'ire de la gauche. Entre autres, sa loi anti-squat et sa proposition de révision de la loi SRU qui vise à donner davantage de marge de manœuvre aux communes dans la gestion des logements sociaux. Une autre nouvelle entrée remarquée au sein du gouvernement concerne le ministère du Numérique qui sera sous la houlette de l'ancienne secrétaire de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée Nationale, et députée Modem, Marine Ferrari. Vient ensuite l'ancienne LR, Marie Génévoux, députée Renaissance (Essonne) et Première questeur à l'Assemblée nationale, qui devient ministre déléguée des Outre-mer. Un poste lui aussi hautement politique du fait des crises majeures que traversent ces territoires : l'immigration à Mayotte, l'eau en Guadeloupe, et le logement à la Réunion.
Éducation nationale : le gouvernement fait les yeux doux aux syndicats
C'est la seconde grande surprise de ce remaniement, et un énième retournement de veste d'Emmanuel Macron : après avoir nommé Rachida Dati à la Culture, Nicole Belloubet succède à Amélie Oudéa-Castéra (qui reste néanmoins ministre des Sports et des Jeux Olympiques) à l'Éducation nationale. Si le Président semble donner certains gages à la droite, ceux-ci sont toujours de courte durée. En effet, après le volte-face du gouvernement sur la loi immigration, c'est donc au tour de l'Éducation nationale de se diriger à bâbord toute. L'ancienne garde des Sceaux (2017-2022) du gouvernement d'Edouard Philippe, qui a fait ses classes au Parti socialiste, semble décidément bien à l'opposé de la trajectoire qui avait été initiée par le Premier ministre lui-même, notamment concernant l'interdiction du port de l'abaya, l'expérimentation de l'uniforme au collège et au lycée, et plus généralement le retour de l'autorité dans l'éducation. Nicole Belloubet avait en effet publié un texte en 2016 qui avait suscité une vive polémique : Supprimer le ministère de l'Éducation nationale ?. Celui-ci visait à soutenir la réforme de Najat Vallaud-Belkacem (2015), qui ne prônait rien d'autre que le nivellement par le bas des classes au nom de la réduction des inégalités sociales. Autrement dit, Nicole Belloubet fait partie des porte-drapeau de la méthode pédagogiste au sein de l'école, méthode qui privilégie le droit à l'erreur dans l'apprentissage et qui préconise l'abattement de l'autorité des enseignants au profit de l'autonomie des élèves. Une méthode qui semble bien aux antipodes des groupes de niveaux initiés par Gabriel Attal lorsqu'il était ministre de l'Éducation nationale. Mais alors, pourquoi un tel revirement de la part du Président, et du Premier ministre ?
Il ne s'agit rien de moins que d'une tentative pour le gouvernement de faire les yeux doux aux syndicats, qui représentent près de 30 % du corps enseignant (32 % dans le secondaire, 26 % dans le primaire). Ce dernier mise en effet sur l'expérience de Nicole Belloubet pour relancer le dialogue entre le gouvernement et le monde de l'éducation. Celui-ci avait été rompu depuis la parution de l'enquête de Mediapart sur la scolarisation des enfants d'Amélie Oudéa-Castéra, au lendemain de sa nomination, et de sa défense tout en circonvolutions pour tenter de se justifier. Or, le Président le sait bien, les syndicats enseignants représentent un réel contre-pouvoir et il est, par conséquent, impossible de mener quelques réformes, soient-elles, sans avoir leur appui. La déclaration de Sophie Vénétitay, secrétaire générale de la Snes-FSU, premier syndicat du second degré, auprès de nos confrères de BFMTV, jeudi 8 février 2024, en témoigne : « Amélie Oudéa-Castéra avait beaucoup abîmé l'Éducation, il n'était plus possible de travailler avec elle ». L'arrivée de Nicole Belloubet rue de Grenelle, qui a été rectrice de l'académie de Toulouse (1997-2000) et de Limoges (2000-2005), mais aussi professeure de droit à Assas et à la Sorbonne, a ainsi été reçue avec un certain enthousiasme de la part des syndicats enseignants qui voient en cette dernière une ministre de « plein exercice ». « Nicole Belloubet était par le passé très critique sur des éléments qui sont désormais mis en avant », s'est ainsi félicitée Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT. La nomination de Nicole Belloubet à la tête de l'Éducation nationale apparaît donc bien comme un énième rétropédalage du Président, avec cette fois, retour à l'ère de madame Najat Vallaud-Belkacem.