Loi immigration : et si tout ceci n’avait été qu’une vaste mascarade ?

Dans un climat politique électrique, la loi immigration a été adoptée dans la soirée du mardi 19 décembre 2023 par l’Assemblée nationale après un accord trouvé par la commission mixte paritaire.

Axelle Ker
Par Axelle Ker Modifié le 25 décembre 2023 à 11h03
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Loi immigration : le texte de la commission paritaire adopté à l'Assemblée nationale

La loi immigration, adoptée mardi 19 décembre 2023 par l'Assemblée nationale, après son passage au Sénat, marque un tournant dans la politique française. Avec 349 voix pour et 186 contre, le texte a suscité de vives réactions de la part de l'ensemble de l'échiquier politique. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, a qualifié le texte de « fort et ferme », arguant que son adoption a été permise « sans les voix des députés RN ». Une déclaration qui fait écho à celle de Marine Le Pen qui s'était félicitée de l'accord trouvé par la commission mixte paritaire quelques heures auparavant, arguant que le texte final représentait une « victoire idéologique » du Rassemblement national sur la question de l'immigration. Que nenni pour le ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, et le Président Emmanuel Macron, qui ne souhaitent accorder, en aucune façon, ne serait-ce qu'une once de victoire au Rassemblement national dans l'adoption dudit texte.

La réalité est que si le RN avait voté contre (88 voix) le texte, celui-ci n'aurait pas été adopté, la majorité absolue étant de 268. Fait qu'a tenu à rappeler la députée Laure Lavalette au micro de BFMTV : « Nos voix compteraient moins que les autres députés ? Si nous avions voté contre ce texte, il ne passait pas ». « Sans les 88 voix du RN = 261 soit moins que la majorité absolue ! Après la marche commune du 12 novembre, voici la loi votée et écrite en commun. Un nouvel axe politique s'est mis en place », a dénoncé par la suite Jean-Luc Mélenchon sur X (ex-Twitter). Le président des Républicains, Eric Ciotti, quant à lui, a tenu à mettre en avant sur X (ex-Twitter) le rôle des Républicains dans la réécriture du texte qui est selon lui est « la loi des Républicains pour lutter contre l'immigration de masse », considérant que son adoption représentait « une victoire historique pour la droite ». Le président des LR en a profité pour tacler le gouvernement par la même occasion : « Quand on ne fait pas de « en même temps », c'est utile pour les Français ! », espérant ainsi ajouter de la crédibilité aux LR sur cette question épineuse qu'est l'immigration.

Crise au sein du gouvernement

L'adoption de la Loi immigration a surtout démontré la fracture au sein de la majorité. Sur les 170 députés de la majorité, 131 ont voté pour, 37 ont voté contre ou se sont abstenus. Parmi les défections au sein du groupe Renaissance figurent notamment le député Sacha Houlié, président de la Commission des lois, aile gauche de la majorité, ou encore Gilles Le Gendre, ancien président du groupe à l'Assemblée nationale.

La crise interne au sein de la majorité a atteint son paroxysme mardi 19 décembre 2023 avec la menace de démission de plusieurs ministres. Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, Sylvie Retailleau, chargée de l'Enseignement supérieur, et Patrice Vergriete, chargé du Logement. D'après une source ministérielle, seul le ministre de la Santé Aurélien Rousseau aurait donné sa démission à Elisabeth Borne. La Première ministre n'a pas encore annoncé si elle l'acceptait. Cette dernière a appelé les membres de son groupe à rester unis : « C'est notre plus grande force pour faire barrage aux populistes ».

Le président va saisir le Conseil constitutionnel

Face à la controverse, Emmanuel Macron, qui avait été « élu pour faire barrage à l'extrême-droite », envisage de saisir le Conseil constitutionnel. « Nous devons nous assurer que les concessions faites ne violent pas nos principes constitutionnels », aurait-il indiqué, cherchant ainsi à modérer les aspects les plus controversés du texte.  Le Président tente ainsi d'apaiser les tensions au sein de la majorité. Trois mesures pourraient être remises en question par le Conseil constitutionnel : les quotas pluriannuels approuvés par le Parlement, la réintroduction de la pénalité pour séjour irrégulier sous forme d'amende, et le durcissement des conditions de regroupement familial.

Nous assistons à une certaine forme de schizophrénie (volontaire ?) de la part du gouvernement qui pousse le « en même temps » jusqu'à son paroxysme. D'un côté, ce dernier se félicite de l'adoption du texte, de l'autre, il souhaite saisir le Conseil constitutionnel pour y retirer les mesures qui auraient pu, a minima, répondre à certaines attentes des Français sur le sujet de l'immigration. Autrement dit, il semble bien que la classe politique se soit mise en scène dans un brouhaha autour d'une loi sur l'immigration qui, in fine, n'apportera pas ou peu de changements sur cette question qui préoccupe les Français.

Les Français restent les grands perdants

Le gouvernement sort-il réellement affaibli et fracturé ? En apparence, oui. Il semble surtout qu'il ait finement manœuvré. En effet, si les membres du Conseil constitutionnel, nommés par le président de la République à l'exception de ceux de droit, estiment que certaines mesures ne respectent pas la Constitution, celles-ci seront retirées du texte final.Autrement dit, toute cette cacophonie n'aura servi à rien. Comme le rappelle Henri Guaino lors de son entretien auprès du Figaro, le 19 décembre 2023 : depuis bien longtemps, « la Cour de justice de l'Union européenne a décidé que dans toute l'Union européenne, la situation irrégulière d'un étranger dans un pays ne pouvait pas faire l'objet d'une condamnation pénale. La loi française, qui prévoyait que la situation irrégulière relevait du droit pénal, n'a plus été appliquée, puisque la Cour de cassation a appliqué la décision de la Cour de justice de l'UE. Il a donc fallu supprimer la loi puisqu'elle ne s'appliquait plus ». Aucun quiproquo possible. Comme l'indique l'ancien conseiller du président Sarkozy, « le pacte migratoire, adopté par les autorités françaises, est plus fort juridiquement que la loi sur l'immigration ».

Le RN et les LR se partagent les dernières miettes pour tenter de maintenir leur crédibilité auprès des Français. Mais à ne pas s'y méprendre, ces derniers sont bien au fait de toute cette gabegie technocratique, tout comme le reste de la classe politique d'ailleurs. CQFD.La gauche, quant à elle, persiste à entendre un bruit de bottes. L'adoption de la loi immigration ne représente donc aucunement une défaite pour le gouvernement, c'est même tout l'inverse. Le ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, avait d'ailleurs pris soin de le rappeler à Marine Le Pen, non sans sarcasme, à la barre de l'Assemblée nationale : il a réussi à leur faire voter la régularisation de 10 000 sans-papiers par an. N'était-ce finalement pas son objectif premier ? « L'économie demande massivement de l'immigration » avait scandé, le 19 décembre 2023, sur Radio Classique, Patrick Martin, président du Medef. La Loi immigration vient de répondre à ses doléances. Les Français sortent, encore une fois, les grands perdants de tout ce tintamarre, avec en prime 50.000 nouvelles régularisations et près de 3,5 millions de nouveaux entrants sur le dos d'ici à la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron. 

Axelle Ker

Diplômée en sciences politiques et relations internationales, journaliste chez Économie Matin & Politique Matin depuis septembre 2023.

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