Agnès Verdier-Molinié : “La France n’arrive pas à réduire sa dépense publique”

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Par Jean-Baptiste Le Roux Modifié le 23 mars 2015 à 10h19
Agnes Verdier

Agnès Verdier-Molinié, directrice de l'IFRAP, a publié chez Albin Michel un ouvrage qui dresse un portrait assez sombre de l'état financier de la France. Mais comme elle le dit elle-même, "Ce livre optimiste est dédié à tous ceux qui croient encore que la France peut bouger et faire mentir les plus pessimistes."

Dans votre ouvrage "On va dans le mur", quel état des lieux établissez-vous, concernant les finances publiques de la France ?

La France n’arrive pas à réduire sa dépense publique. Nous atteindrons bientôt les 58% de dépenses publiques par rapport au PIB alors même que tous les derniers gouvernements ont fait de la "baisse de la dépense publique" une de leurs priorités. Le problème est que nous assistons à des mini réformes successives qui sont à chaque fois des sursis mais ne sont jamais des réformes structurelles. Aujourd’hui, la BCE comme la commission européenne et nos partenaires de la zone euro exhortent la France de mener les réformes de structures. Nous sommes au meilleur moment pour engager ces réformes (par exemple une réforme systémique des retraites qui alignerait tous les régimes avec un système par point) car les taux d’emprunts sont historiquement bas (taux OAT à 10 ans qui tourne autour de 0,5%). Si nous ratons cette occasion historique de réformer en profondeur notre pays, nous en serons collectivement comptables auprès des prochaines générations.

Est-ce si difficile de réduire les dépenses du pays ?

Oui c’est difficile car, prise indépendamment, chaque dépense semble nécessaire. Sans vue d’ensemble, on peut passer complétement à côté du vrai sujet qui est que nous payons plusieurs fois différents organismes, différentes strates administratives pour produire les mêmes services publics, voire des services publics concurrents ! Rien que pour distribuer l’ensemble des dépenses de protection sociale, cela nous coute tous les ans plus de 30 milliards d’euros… Fondamentalement, nous avons une capacité à empiler dans tous les domaines qui frôle la pathologie. Quel pays compte comme la France 360 taxes, impôts et cotisations sociales différents ? Quel pays compte 618 834 élus pour 65 millions d’habitants ? Nous allons voter pour les départementales et réussissant un exploit : tout en réduisant le nombre de cantons, on va augmenter le nombre d’élus.

Les réformes engagées par François Hollande vont-elles dans le bons sens ?

Le gouvernement utilise les bons mots : "économies sur les dépenses publiques", "simplification, flexibilisation" mais on continue, malgré cela, à empiler, à voter de nouvelles lois pour les ajouter à nos 10 500 lois, à ajouter de la complexité par exemple avec le compte pénibilité. On simplifie en façade, on ne le fait pas en profondeur. Et ce en grande partie car on n’arrive pas à toucher à certains tabous tout en sachant très bien qu’il faudra y arriver : fusionner les aides sociales, réduire le nombre de communes, gérer la politique d’éducation au niveau local, revenir sur les 35 heures, penser la fiscalité pour permettre la création et le développement de nos entreprises et non pour remplir les caisses publiques…

La France a-t-elle besoin du choc de simplification prôné par le président de la République ?

Oui, elle a besoin d’un vrai choc de simplification. Un choc qui raconte aux Français, à nous tous, quelle sera l’organisation de la France en 2022, quelles missions de service public remplira l’Etat, quelles collectivités locales aurons-nous, avec quelles compétences ? Le choc doit aussi se retrouver dans la réduction des textes, des lois, des normes. Comment occulter le fait que notre Code général des Impôts est modifié 10 à 20 fois annuellement et que son volume a presque doublé entre 1990 à 2000, passant de 2 500 pages à 4 000 pages ? Ou que le Code du travail est passé depuis 1985 de 500 grammes à 1,5 kilo ? Si on veut vraiment simplifier, cela passera par la suppression de nombreuses lois et de nombreux articles de nos 62 codes.

Vous prônez notamment le gel des embauches dans la fonction publique pour économiser 15 milliards d’euros. N’est-ce pas envoyer l’appareil d’Etat dans le mur justement ?

Au contraire, à partir du moment où l’on stoppe les embauches, cela nous met collectivement sous contrainte pour réorganiser les missions publique, passer à une vraie mobilité des agents entre les différentes administrations. Cela permettrait aussi de rémunérer les agents à la performance, de revenir sur le temps de travail dans les collectivités locales dans lesquelles les agents ont souvent un temps de travail inférieur à 35 heures par semaine. Ce sont des millions d’heures au service de la collectivité qui seraient gagnées si on alignait toutes nos administrations sur 1607 heures par an.

Vous proposez également d’obliger les chômeurs à accepter une offre d’emploi. Mais y-a-t-il réellement de l’emploi en France ?

D’accepter une offre raisonnable d’emploi qui est définie entre le demandeur d’emploi et le conseiller de Pôle emploi. Théoriquement, un demandeur d’emploi qui refuse deux offres raisonnable d’emploi devrait être suspendu pendant 15 jours à 2 mois. Il est très difficile d’avoir des informations fiables sur le sujet mais, a priori, ce n’est quasiment jamais le cas. Ensuite, le défi sera bien évidemment de recréer notamment une dynamique au service de la création d’emplois marchands et d’entreprises. L’augmentation de la pression fiscale sur nos entreprises a eu un effet délétère ces dernières années. Le CICE et le pacte de responsabilité ne peuvent suffire. Si nous voulons des emplois, nous devons inciter nos talents entrepreneuriaux à s’exprimer en France. C’est encore loin d’être le cas car cela demande d’accepter de supprimer l’imposition des plus-values sur les jeunes entreprises, de ne plus imposer à l’ISF les participations dans les entreprises de taille intermédiaire… De revoir donc notre fiscalité. En réalité, nous devons sortir collectivement de la préférence pour le chômage que nous avons cultivée en nous tournant délibérément vers l’entrepreneuriat.

Le sursaut dont vous parlez, et que vous appelez de vos vœux, les politiques l’ont-ils bien pris en compte ?

Cela commence à passer. Mais ce n’est pas encore gagné. Alors, il faut continuer le travail de pédagogie. Paradoxalement, les Français sont souvent plus prêts pour les réformes que les élus eux-mêmes. Cela dit, ils souhaitent des réformes justes et équitables et ne comprennent pas, par exemple, que l’on parle de repousser l’âge de la retraite pour les complémentaires du privé dans parler de repousser l’âge des retraites pour les agents publics. Si l’on veut que les réformes soient soutenues par l’Opinion publique, cela passe d’abord par la démonstration que les efforts seront fait par tous et non pas par une seule partie de la France. On ne peut pas flexibiliser uniquement l’emploi privé, il faudra le faire aussi pour l’emploi public par exemple.

Le problème n’est-il pas que les vraies réformes sont anti-électorales ?

C’est parce qu’il n’y a pas eu de vraies réformes depuis trop longtemps que les Français ne font plus confiance aux politiques et ne savent plus pour qui voter. En ne leur cachant pas la réalité, en leur disant qu’on peut encore attendre, gagner du temps, que finalement il vaut mieux attendre tout simplement que la croissance revienne, le risque est de renouer avec le déni. C’est ce déni qui est anti-électoral.

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