Si l'on s'en tient à l'affiche du second tour de l'élection présidentielle, le libéralisme d'Emmanuel Macron et l'extrême-droite de Marine Le Pen seraient les grands vainqueurs du scrutin du 23 avril 2017. En y regardant de plus près, pourtant, on découvre des résultats en trompe l’œil.
Depuis son émergence électorale en 1984, le Front national a toujours plus ou moins prospéré sur le rejet du système politique établi. Ce positionnement « anti-système » a connu deux évolutions majeures : à partir du référendum sur le traité de Maastricht, en 1992, lorsque Jean-Marie Le Pen adopte pour la première fois un discours anti-Union européenne, et en 2011, avec l'arrivée de Marine Le Pen à la présidence du parti, qui se positionne de façon encore plus clairement antimondialiste. À partir de 1992 et plus encore après 2011, les propositions sécuritaires et contre l'immigration du Front national sont loin de suffire à expliquer son succès. Au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, comme en 2012, le protectionnisme, la sortie de l'euro, la perspective de sortie de l'Union européenne si nécessaire sont des arguments aussi déterminants pour l'électeur potentiel, en particulier dans les classes populaires.
Le Front national rattrapé par la France insoumise
Mais le scrutin du 23 avril 2017 est porteur d'un premier paradoxe : le statut de candidate « anti-système » de Marine Le Pen, qui l'a portée au second tour, n'a jamais été autant contesté par la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon. En 2012, l'écart entre les deux rivaux était de 2 437 000 voix. Aujourd'hui, il n'est plus que de 618 600. Si le score du Front national est historique (près de 7 680 000 voix contre 4 805 000 pour Jean-Marie Le Pen en 2002), celui de la France insoumise l'est tout autant. Il faut remonter au communiste Jacques Duclos en 1969 (21,27 % des suffrages exprimés) pour retrouver un tel succès à une présidentielle et aux européennes de 1979 (20,52 % pour la liste de Georges Marchais) si l'on élargit la recherche à tous les scrutins.
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont les fers de lance opposés d'une contestation du système politico-économique devenue clairement majoritaire dans les urnes si l'on s'en tient aux programmes et aux axes de campagne.
La mondialisation et l'Union européenne sur le banc de accusés
On peut regrouper les candidats du premier tour de la présidentielle en trois catégories. D'un côté, les « pro-système », favorables à la mondialisation, représentés par Emmanuel Macron et François Fillon. De l'autre, les « anti », avec, outre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Philippe Poutou, François Asselineau, Nathalie Arthaud et Jacques Cheminade. Tous, en effet, critiquent à leur manière l'ordre économique. Enfin, le candidat du Parti socialiste Benoît Hamon est une catégorie à lui seul, puisqu'il prétend réformer la mondialisation dans un sens plus social par une « démocratisation » des institutions qui, comme l'Union européenne, en sont les vecteurs.
Le phénomène marquant de ce scrutin est bien le fait que les « anti » dépassent les « pro-système », avec 49,60 % contre 44 % des suffrages exprimés. En 2012, ce rapport était respectivement de 32,75 % (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud et Jacques Cheminade) contre 65 % (François Hollande, Nicolas Sarkozy et François Bayrou).
Le second paradoxe du 23 avril, c'est donc que l'arrivée en tête d'Emmanuel Macron, porte-parole s'il en est de la mondialisation néolibérale, ne parvient pas à masquer l'expression du rejet de l'ordre économique. L'Union européenne, notamment, est sur le banc des accusés : 46,5 % des électeurs ont voté pour des candidats (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau) proposant de rompre avec les fondamentaux libéraux de Bruxelles, voire d'aller jusqu'au Frexit.
En définitive, l'affiche du deuxième tour est profondément trompeuse. Un candidat mondialiste placé en tête alors que la mondialisation est rejetée par les électeurs. Une candidate d'extrême droite seconde, mais nettement rattrapée par une gauche radicale qui assume depuis peu le protectionnisme ou la rupture franche avec l'Union européenne.