Légitime défense : « l’esprit de la loi » doit l’emporter sur « la lettre »

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Par Daniel Rémy Modifié le 20 août 2018 à 11h20
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Contrairement au droit civil, les lois pénales ne sont, en principe, pas sujettes à interprétation. Pour autant, dans son recueil (Cours de droit criminel - 2ème édition – 1927), Jean-André Roux, éminent Professeur des Facultés de Droit et Conseiller à la Cour de Cassation, ne craignait pas d’affirmer que « l’interprétation des lois était une nécessité. Pour demeurer claire, la loi se doit de rester concise et contenir simplement l’énonciation des règles générales, en laissant à l’interprétation le soin d’adapter ces règles aux espèces concrètes. Du fait de la technique insuffisante du Code pénal, il existe un droit pénal non écrit dont l’interprétation, en cas de doute, doit être la plus favorable, pour l’accusé… ».

Il est manifestement des juges qui ne partagent pas cette analyse, une analyse qui grandit l’institution judiciaire en redonnant à l’équité la place qui lui revient, dans les prétoires : « l’esprit de la loi » doit l’emporter sur « la lettre », beaucoup trop réductrice…

La condamnation à 10 ans de réclusion criminelle de Jacqueline Sauvage, cette femme qui, durant plus de quarante années a vécu un enfer, est une illustration, jusqu’à la caricature, de la fracture profonde qui sépare les citoyens d’une justice totalement désincarnée, sensée être rendue « au nom du peuple français »…

Et que l’on ne vienne surtout pas nous dire que les quelques jurés d’assises, tirés au sort parmi la population, sont précisément l’expression très majoritaire des Français. Une femme accusée de meurtre, pour avoir tué un mari alcoolique qui la frappait régulièrement et qui agressait sexuellement ses propres enfants, ce n’est pas son procès qui aurait dû être instruit, mais bel et bien celui de la justice : une justice sourde et aveugle qui n’a curieusement jamais rien trouvé à redire au comportement criminel d’un individu qui, la veille même du drame, avait conduit au suicide, par pendaison, du fils de la fratrie.

« Les rédacteurs des projets de loi écrivent avec leurs pieds… », avait dit un « expert », Jacques Chirac, après avoir pris connaissance de nouveaux textes, à l’occasion d’un Conseil de Défense, à l’Élysée (Paris-Match-20.10.1996). Ceux qui ont rédigé la loi relative à la légitime défense appartiennent manifestement à cette catégorie car, dans la pratique, on n’a encore jamais vu un mort témoigner du bien fondé qui l’aurait poussé à tirer le premier…

Les policiers en savent quelque chose, eux qui, régulièrement, voient des véhicules leur foncer dessus, pour échapper aux contrôles. Or, si le véhicule, en l’espèce, devient une arme « par destination », cela ne les autorise pas, pour autant, à ouvrir le feu, en dépit de ce qui s’apparente à une tentative d’homicide volontaire… Leurs « collègues » gendarmes, allez savoir pourquoi, ont plus de chance : ils sont, eux, autorisés à tirer sur un agresseur en fuite, à condition d’avoir procédé aux sommations d’usage… Notons, au passage, que la loi ne prévoit rien pour les agresseurs qui sont sourds.

Si la légitime défense suppose un certain nombre de conditions et critères, extrêmement difficiles à matérialiser ou à « interpréter », elle exige, de surcroît, que leur caractère soit indissociable : dès lors, en dehors de quelques cas très particuliers, les victimes, quel que soit le talent de leurs avocats, éprouveront toujours toutes les peines du monde à faire jouer cette clause…

Parmi ces conditions, il doit pouvoir être établi que le danger était imminent et que l’agresseur est bien passé à l’acte. Quant aux critères retenus par la loi, il est indiqué que la réponse à l’agression doit être simultanée et « proportionnée » mais, également, qu’il n’existait aucun autre moyen de s’y soustraire.

Dans le cas de Jacqueline Sauvage et de ses filles, l’imminence des violences et des viols n’était plus à démontrer. Faute de pouvoir répondre « physiquement », dans les mêmes « proportions », aux assauts criminels répétés de ce mari et de ce père indignes, elles n’avaient pas d’autre choix que de dénoncer les faits à la police et de fuir le domicile conjugal : une décision lourde de conséquences et jamais exempte de risques…

Le drame, c’est que ces dispositions totalement « hors-sol » s’appliquent de la même manière, en matière de lutte contre la délinquance, la grande criminalité ou encore, le terrorisme. Ainsi, pendant très longtemps, les services de police ou de gendarmerie, qui avaient connaissance de la préparation d’une attaque à main armée, n’intervenaient qu’après que les malfrats soient passés à l’acte, de manière à ce que le caractère criminel de l’infraction soit reconnu : cette disposition posait problème car elle mettait en danger les populations, lors de l’intervention (prises d’otages, balles perdues,…). Fort heureusement, la loi a évolué et les brigades spécialisées sont, depuis, habilitées à intervenir en flagrant délit, pourvu que tous les éléments de preuves attestant de l’imminence de la commission d’un crime ou d’un délit aient été réunis.

En matière de lutte contre le terrorisme, les puristes du droit, toujours très attachés à « la lettre », instauraient, le 13 novembre 2014, un nouveau délit : celui d’ « entreprise individuelle terroriste ». Pour le seul motif, que jusqu’à présent, la qualification pénale relative à cette forme de criminalité (instituée le 9 septembre 1986, seulement…), faisait référence à une « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste… ». Une différence de taille, comme on peut en juger…

Un terroriste, individuel ou en bande organisée, « illuminé d’un jour » ou fanatique indécrottable, n’est-il pas d’abord et avant tout un criminel ? À ce petit jeu, compte tenu de l’extrême porosité qui existe entre la délinquance, le crime organisé et le terrorisme, les agresseurs auront toujours plusieurs coups d’avance…

La légitime défense, telle qu’elle est conçue, avec une interprétation des plus rigides, fait la part belle aux agresseurs même si, chacun l’a parfaitement compris, elle est là, aussi, pour éviter les dérives.

Et si, aux lieu et place d’ériger en permanence et « après coup » de nouvelles lignes de défense, tout aussi illusoires, l’accent était mis, une bonne fois pour toutes, sur la prévention et la dissuasion ? Ce n’est qu’à ce prix que se gagnent les batailles : la répression n’est rien d’autre que la consécration d’un échec…

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Spécialiste des questions de sécurité et de renseignement, depuis 1976. Issu du secteur privé, Daniel Rémy apporte principalement son expertise et son expérience aux entreprises confrontées à des risques et à des menaces très diverses, en France comme à l'étranger (terrorisme, kidnapping, racket, fraude, espionnage industriel et commercial, tentatives de déstabilisation…). Il est l'auteur, entre autres, de « Qui veut tuer la France ? La stratégie américaine… » (2007), « La France des talibans : République cherche repreneur… » (2002), « Pour l’humour du risque » (2011) et « Terrorisme et sécurité : ils nous prennent pour des cons… » (2016).

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