Marine Le Pen face à BFM TV : Le tournant ?

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 13 mars 2021 à 6h51
Marine Le Pen Presidentielle 2017

Et si Marine Le Pen se révélait vraiment au même âge que son père ? A 52 ans (elle est née en 1968), Jean-Marie Le Pen était un quasi inconnu des Français tout autant que des médias. C’est à 56 ans que le fondateur du Front national a participé à sa première Heure de Vérité, en 1984, alors même qu’il était tombé en politique plus tôt que sa fille (il fût député à l’âge de 27 ans). Si la présidente du Rassemblement national ne fend pas l’armure -euphémisme- dans les débats, elle est beaucoup plus à l’aise sur une estrade, ou face aux journalistes, comme jeudi 11 mars 2021 sur BFM TV.

Pas d’adversaire. Que des journalistes. Et pas les plus virulents, on n’est pas sur le service public, c’est BFM TV. A priori, c’est confort d’autant qu’en se présentant à leur invitée et malgré les masques, c’est plus sourire que grimace.

BFM, accusée de rouler pour Macron pour 2017, virerait-elle sa cuti ou tout au moins aurait-elle fait le choix de ménager la probable candidate de la droite au second tour de l’élection présidentielle, créditée de 48 % des intentions de vote, dont clairement dans la marge d’erreur ? C’est pourtant à une consultante extérieure, Marie-Virginie Klein, du grand cabinet de conseil en communication Tilder, que revient la mission d’expliquer qu’elle peut l’emporter.

Pas parce que les idées du Rassemblement National pourraient devenir majoritaires demain, mais tout simplement parce que les Françaises, mais aussi les Français, sont pour la première fois prêts à faire confiance à une femme pour prendre en main leur destin, et donc à voter pour elle.

Marine Le Pen bénéficierait même d’une légère avance sur Emmanuel Macron chez les électrices.

Les femmes votent Marine Le Pen

Une chose est certaine, l’exercice de l’interview réussit beaucoup mieux à Marine Le Pen que le débat. Là où son père s’épanouissait dans la joute oratoire, terrassait bien des adversaires et ridiculisait bien des journalistes, Marine Le Pen a basculé du côté de la force tranquille depuis son débat raté face à Emmanuel Macron. Stoïque bien que brouillonne face à Gérald Darmanin. Posée face aux journalistes de BFM, qui montrent au passage que l’on peut faire dignement ce métier en interviewant, et non en harcelant.

C’est propre, millimétré, chirurgical, à des années-lumière du cirque Léa Salamé Thomas Sotto. Même quand Marine Le Pen est relancé simultanément par Maxime Switek, le présentateur, et l’un des journalistes en charge des thèmes choisis, cela reste audible, calme, pro. Et quand c’est calme, pro, Marine Le Pen l’est tout autant.

On aurait pu imaginer que Bruce Toussaint, poids lourd de BFM, tenterait de la bousculer un peu plus. Rien de tel : c’est courtois, cordial, et même le court passage sur le mot « xénophobie » qu’un micro-trottoir lui attribue, ne perturbe pas le jeu. Au contraire, elle en profite pour tacler Gérald Darmanin et lui demander comment sont logés les 600.000 clandestins que le ministre a convenu résider sur le territoire français.

S’en suit un déballage quasiment ininterrompu de l’attirail du Rassemblement national pour traiter les problèmes de délinquance, d’émeutes urbaines, de zones de non-droit, des clandestins islamistes… Bruce Toussaint lève sagement le doigt. A une question micro-trottoir conçue pour la déstabiliser, elle répond que le passant qui l’interpelle a tout à fait raison, et poursuit sa démonstration avec efficacité. Marc-Olivier Fogiel (patron de la rédaction de BFM TV) doit s’étouffer en coulisses.

BFM TV = BFMarine TV ?

Même la séquence « intime » déclenchée par Bruce Toussaint en fin d’interview (vous arriverez à deux à l’Élysée ?) provoque son rire et non son ire. « M’enfin Monsieur Toussaint, quelle question vous me posez là ! »

S’en suit une improbable séquence d’extraits d’interventions télévisées de Marine Le Pen à 24, 27 ans. On cherche la vacherie sans trouver. On dirait ces diaporamas que l’on diffuse lors des mariages ou des anniversaires. Regard sombre de Bruce Toussaint dans son fauteuil, qui se demande sans doute qui a pu choisir ces extraits, qui la rendent éminemment sympathique.

Maxime Switek, le présentateur, rame en lui reprochant de ne ‘jamais avoir été aux manettes. « Les Français ont tout essayé dans les 30 dernières années, la droite, la gauche, quelqu’un qui représente le pire de la droite et le pire de la gauche réunis. Je pense personnellement incarner le meilleur de la droite, et le meilleur de la gauche ». On n’attendait pas cette punchline, elle va rester.

Faiblesse passagère pourtant sur les affaires. Si Marine Le Pen n’a jamais été condamnée, son parti, si, et certains de ses proches. Maxime Switek pense avoir marqué un point, mais sa langue fourche sur la condamnation en première instance de Jean-François Jalkh, : « deux ans dont six ferme ». ce four déclenche un magistral cours de droit pénal de Maître Marine Le Pen, qui en profite pour dérouler la longue frise des hommes politiques de gauche et de droite de premier ordre, condamnés ces dernières années.

Arrive Benjamin Duhamel, fils des journalistes Patrice Duhamel et de Nathalie Saint Cricq qui ont fait carrière dans le service public. On se pince à l’idée que c’est la maman qui débriefe le débat Darmanin Le Pen sur France 2, et le fiston qui interviewe la même Marine Le Pen quelques semaines plus tard sur une autre chaîne. On espère juste que ces trois-là n’ont jamais entonné l’air connu du népotisme, ça ferait désordre.

Quand un fils de interviewe une fille de

Gamin marque des points. Il diffuse des séquences vidéo que Marine Le Pen aurait voulu oublier. Un extrait de son débat du second tour face à Macron où elle mélange les dossiers Alstom et SFR. Un autre du débat face à Darmanin, où elle trébuche sur les chiffres des demandes d’asile. « Mais sur Alstom, j’avais raison ». « Sur les demandes d’asile, le ministre a menti ». Des lapsus donc, pas des erreurs. Compétente pour 34 % des Français d’après un sondage, elle martèle « qui l’est plus que moi dans les candidats ? » « Beaucoup » répond vasouillard le benjamin de l’assemblée. « Qui l’est plus que moi dans les candidats » ? Temps mort. Clap de fin sur les chats. Sciences Po (Benjamin Duhamel était président de Sciences Po TV en 2017) n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Avant-dernière roue du carrosse en fin d’émission, l’économie. L’euro est sur la table. Hedwige Chevrillon lui reproche d’avoir voulu abandonner la monnaie unique. Marine Le Pen démontre que l’euro de 2017, dont elle voulait sortir, n’a plus rien à voir avec l’euro d’aujourd’hui. « L’Europe s’est assise sur tous les traités qui régentaient l’euro ». Toujours floue sur les dossiers économiques, la candidate du RN a, cette fois, révisé. Hedwige lui colle dans les dents un extrait de sa tribune économique dont tout le monde parle pour la coincer. « Vous avez dit : « Nous sommes dans la dernière ligne droite de la Théorie Monétaire Moderne post-keynesienne ». Clac : Marine déclenche ostensiblement le piège, et déroule des propositions. C’est chiant comme de l’économie, mais ça fait sérieux.

La séquence finale revient à Philippe Corbé, le chef du service politique de BFM TV, qui revient sur le débat face à Gérald Darmanin, et les accusations de « mollesse ». Perche tendue, perche saisie, Marine Le Pen se justifie et « veux rassurer ». on s’enlise dans le sable malien et des expulsions de sans-papiers, mais les propositions de la patronne du RN fusent, quasiment sans obstacles, Philippe Corbé hésite à l’interrompre.

L’émission touche à sa fin, et l’on peut se faire un avis sur l’ensemble de la prestation.

Marine Le Pen : plutôt européen que siamois ou angora

D’abord, du point de vue du spectateur, disons les choses telles qu’elles sont : « Face à BFM », c’est propre, mais c’est un peu chiant. Les journalistes manquent-ils de mordant, ou bien n’ont-ils plus de quoi mordre Marine le Pen vraiment ? Aucune séquence, aucune question ne la met réellement en difficulté. Au pire, elle fait une pirouette, comme un chat qui retombe sur ses pattes.

Ensuite, Marine Le Pen justement. Dans le rôle du chat justement, elle excelle. Tout glisse sur elle, elle esquive, et gratifie régulièrement la caméra d’une tête penchée et d’un sourire énigmatique, comme un greffier dans son canapé. On sent qu’elle a bossé, plus, ou différemment de la dernière fois. Même sur l’économie. Les tacles sur les questions politiques ont été anticipés, les réponses, travaillées. Ça sort sans coincer. Pas de fiches qui virevoltent.

Face à Darmanin, Nathalie Saint Cricq (mère de Benji Duhamel) disait de la présidente du RN qu’elle avait acquis une stature de présidentiable. On aimerait savoir ce qu’elle dira à son rejeton en débriefant son émission, mais on a déjà une toute petite idée.

« Ben, elle nous a échappé… Comme un chat ».

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Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin. Il est également intervieweur économique sur RTL dans RTL Grand Soir (en semaine, 22h17) depuis 2016.Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time. En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007.Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an.En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier. Il a également été éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018. Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont notamment "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ainsi que "le Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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